"C'est Al Jazeera qui a crée le Qatar"
Frank Mermier, anthropologue et auteur du livre « mondialisation et nouveaux médias dans le monde arabe », a répondu à l’invitation de l’Institut Supérieur d’Information et de Communication (ISIC) de Rabat. Il analyse les médias dans le monde arabe et la percée de chaînes comme Al-Jazeera. Compte rendu de la conférence.
Vendredi 19 heures dans le grand amphi de l’Institut Supérieur d’Information et de Communication (ISIC) de Rabat. Frank Mermier surprend l’audience en répondant parfois en arabe avec un accent libanais. Normal, il vit et travaille à Beyrouth.Pour le chercheur, le développement des médias audiovisuels dans le monde arabe, surtout la télévision et Internet, est saisissant. Cela contraste avec le développement de la presse écrite et de l’édition. Il impute cela au retard qu’a pris l’introduction de l’imprimerie dans le monde arabe. Mermier nuance ses propos : le pluralisme politique que connaissent certains régimes –le Yémen et l’Irak post Saddam, par exemple- favorise « l’efflorescence » de titres de presse. Mermier déplore le sous développement de l’édition, d’autant plus que c’est l’un des rares domaines bénéficiant d’autonomie et où l’on peut innover sans craindre la censure. La directrice de l’ISIC, Latifa Akharbach enfonce le clou en avançant un chiffre effarent : dans l’espace arabe qui compte 284 millions d’habitants, les best-sellers ne sont écoulés qu’à 5000 exemplaires en moyenne. Un chiffre qui fait froid dans le dos comparé aux millions d’exemplaires vendus dans les pays occidentaux. Devant le peu de lecteurs et avec l’encouragement de certaines capitales arabes, les chaînes satellitaires se sont multipliées. 200 nouvelles chaînes ont vu le jour dont plusieurs sont spécialisées. Treize sont des chaînes d’information continue. La plus connue est Al-Jazeera.Parole aux minorités« C’est Al-Jazeera qui a crée le Qatar » lance Frank Mermier. « La chaîne qatarie est un instrument de communication intelligente de la part d’un petit pays comme le Qatar », explique Abdellatif Bensfia, enseignant à l’ISIC. Et d’ajouter : « Ce pays a tout compris, il réussi le pari d’exister politiquement face à l’Arabie Saoudite en utilisant une “arme“ moderne : les médias ». Le pays, proche des Etats-Unis a laissé une grande marge de manœuvre à la chaîne. Elle est désormais crédible aux yeux de la population arabe, car elle donne la parole aux minorités et respecte les standards professionnels internationaux. Al-Jazeera a ouvert une brèche, mais les chaînes nationales ne suivent toujours pas. Latifa Akherbach dénonce cet état : « nous avons besoin de télés libres dans tout le monde arabe ». Ce qui impressionne, de l’avis de Frank Mermier, c’est que « ces chaînes ont réduit l’hégémonie occidentale des images télévisuelles ». On voit régulièrement le logo “Al-Jazeera exclusive“ apparaître sur les chaînes les plus prestigieuses, à commencer par CNN. Mais pour les occidentaux, « Al-Jazeera cristallise tous les phantasmes » explique Frank Mermier; elle y est régulièrement accusée de faire de la propagande.TéléréalitéMermier avance l’idée qu’un « nouvel arabisme » fait son chemin. Signe qui ne trompe pas : le nom même de certaines chaînes comme « Al-Arabia » (littéralement « l’Arabe ») ou « Al-Sumaria » (en référence au pays de Sumer et son peuple installé en Mésopotamie -actuel Irak). Ces chaînes sont entrain de créer une culture de masse différente car originale, mais qui cherche à diffuser une culture médiane. Par exemple les émissions de télé réalité libanaises « Star Academy » et « Popstars ». Ce constat oppose ces nouvelles chaînes qui s’adressent à un citoyen consommateur, aux chaînes nationales où le téléspectateur est perçu comme un citoyen à éduquer et à encadrer. La société de consommation à l’américaine se frayerait-elle un chemin dans le monde arabe ? C’est ce que soutien Mermier.
ZC
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