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Pêche/surexploitation: Les mises en garde d’un expert français
(Article publié dans L'Economiste du 28/12/2006)

· Repos biologique: c’est bien pour se rassurer, mais ce n’est pas toujours efficace
· L’importance des approches «écosystémiques»
· Maroc/UE: L’effort de pêche est trop élevé
La surexploitation des océans pousse les experts à s’inquiéter sur l’avenir de la pêche. Les estimations les plus pessimistes parlent de l’épuisement des ressources halieutiques à l’horizon 2047. Invité au Maroc pour intervenir sur le thème de «la recherche face au défi de l’avenir des écosystèmes marins, de la pêche et de l’aquaculture», Patrice Cayré, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), délivre son avis d’expert sur ces estimations et analyse le cas du Maroc.
· L’Economiste: Quelle est la situation mondiale des pêches?
- Patrice Cayré: La situation mondiale des pêches est très mauvaise. Près de 75% des espèces sont pleinement exploitées, voire surexploitées. Cela veut dire que ces espèces vont soit disparaître, soit ne plus être disponibles en quantités significatives.
· Les projections des spécialistes sont alarmantes. Qu’est-ce qui permet de dresser ce scénario catastrophe?
- Vous faites référence à un article publié par la revue «Science» prévoyant la disparition de toutes les espèces de poisson en 2047. C’est une prévision volontairement alarmiste dont on a beaucoup parlé et qui est basée sur l’hypothèse que rien ne changera d’ici là. Les Etats en charge de la gestion des pêches, ainsi que les scientifiques, travaillent sur des mesures.
· Et quelles sont ces mesures, concrètement?
- La voie la plus prometteuse est l’approche «écosystémique» qui prend en compte l’impact de la pêche sur l’ensemble d’un écosystème. Cette méthode a été préconisée lors de la conférence internationale de Reykjavik (Islande) en 2001. Elle consiste à déterminer les indicateurs de santé d’un écosystème et de réglementer la pêche selon la situation. A cet effet, l’aménagement d’aires protégées peut être une solution efficace. A condition que ce ne soit pas uniquement pour donner une image de souci écologique. Car ces dernières années, on voit éclore des aires marines protégées un peu partout dans le monde par simple mimétisme. · Quelles sont les espèces les plus menacées?
- Ce sont les grands carnivores, au sommet de la chaîne alimentaire, qui sont les plus menacés. Au Maroc, le bar et le mérou, au Canada, la morue, et en Méditerranée, le thon rouge. La liste est encore longue. D’une manière générale, les poissons les plus prisés par les consommateurs sont davantage menacés.
· Comment concilier entre la préservation des poissons et le développement de ce secteur?
- Il faut bien comprendre que le développement économique n’est pas incompatible avec des mesures de protection et de limitation des pêches. L’Etat a un rôle régulateur extrêmement important à jouer à une échelle bien supérieure aux intérêts égoïstes d’un individu ou d’une entreprise.
· Quelle est la situation pour ce qui est du littoral marocain?
- Depuis 2001 où les pêches au Maroc ont atteint un pic d’un million de tonnes, la tendance est à la baisse. De plus, malgré la suspension des accords de pêche, les captures de poisson n’ont pas augmenté.
· Justement, dans quelle mesure l’accord de pêche Maroc/UE menace-t-il les ressources halieutiques?
- Le problème vient de l’effort de pêche trop important qui concerne non seulement la flotte étrangère, mais également les pêcheurs industriels marocains. Les navires étrangers et marocains capturent les mêmes espèces et ont accès au même marché. De plus, pour un pays comme le Maroc, les considérations économiques sont déterminantes. Les accords de pêche permettent la création de 16.000 emplois et représentent une rentrée d’argent pour l’Etat marocain. Bref, je ne nie pas que quelque chose ne va pas, mais chacun rejette la responsabilité sur l’autre.
· Les périodes de repos biologiques sont-elles suffisantes?
- Disons que c’est une notion rassurante que tout le monde peut comprendre, mais qui, dans la réalité, n’a pas une efficacité toujours significative. · Si on prend l’exemple du poulpe?- Il faut savoir que le poulpe est une espèce qui vit très peu de temps, un an à peu près. De plus, après chaque reproduction, la femelle meurt. Dépassé un certain seuil de capture, on peut craindre la raréfaction de quantités significatives de cette espèce.
· Qu’en est-il de la surexploitation de l’algue rouge marine?-
Cela ne représente pas de danger pour l’écosystème. Mais il ne faudrait pas qu’elle disparaisse. La nature ayant horreur du vide, une autre algue viendra la remplacer. Il faudrait arriver à préserver certaines surfaces de l’exploitation. Par exemple, garder une bande inexploitée tous les 150 mètres comme cela se fait dans d’autres pays.
('encadré)
Un expert très sollicité
Patrice Cayré est océanographe biologiste spécialisé en halieutique. Il est directeur du département de recherche sur les «ressources vivantes» de l’IRD (Institut de recherche pour le développement). Le professeur Cayré est l’auteur de nombreux ouvrages et publications scientifiques sur la dynamique et l’ethnologie des thons tropicaux. Il est par ailleurs un des experts chargé par la Banque mondiale, la FAO et l’Unesco de procéder à une évaluation prospective mondiale de la recherche agricole pour le développement.Patrice Cayré est décoré par l’Etat français de l’Ordre national du Mérite au grade de Chevalier.
Propos recueillis par Zakaria CHOUKRALLAH

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