25.1.07

Internet: Les sites marocains se distinguent

 

DEUX sites marocains ont été retenus par le Prix RFI Net Afrique 2006, la sixième édition d’un concours qui récompense chaque année le meilleur site Internet d’Afrique. Il s’agit du portail www.lamarocaine.com et du site connaistesdroits.tanmia.ma.
Tanmia est, selon ses concepteurs, «un espace participatif où les associations se connectent et échangent de l’information en ligne». Le pendant «connais tes droits» est en réalité un CD que le portail a mis en ligne avec l’aide de l’Union européenne, selon le président du portail Rachid Jankari. Le leitmotiv de ses créateurs: vulgariser les droits de la femme et de l’enfant. Pour y parvenir: une interface intuitive où il suffit de cliquer pour télécharger des dessins animés. Difficile de faire plus simple. Quant à lamarocaine.com, c’est la deuxième fois consécutive qu’il figure parmi les sites finalistes. Bien au-delà de l’info pratique, le site se donne pour ambition la valorisation de l’image de la femme et se propose de regrouper les associations féminines autour d’un seul support. Derrière son look vieillot, lamarocaine.com cache une base de données impressionnante. A titre d’exemple, le site abrite 456 portraits de femmes marocaines. A la base, il y avait 85 candidatures, mais seules 10 ont été retenues. Au final, un seul l’emportera. Neuf experts de RFI ont passé au crible les sites web qui se sont portés candidats. Tout y est passé: la pertinence du contenu, l’ergonomie, l’originalité, le design et l’esthétique, l’interactivité et la convenance avec le public cible.
Le lauréat sera connu fin janvier; il remportera 2.000 euros, mais surtout il bénéfieciera d’une campagne publicitaire gratuite sur les ondes, sur le site Internet de Radio France Internationale et dans la presse. De plus, l’heureux élu se verra offrir une formation d’un mois sur un campus numérique en Afrique.

Zakaria CHOUKRALLAH
Emploi & Carrière

Les managers qui bougent

OFPPT: Changements dans l’organigramme

 

■ Directeur de la Formation en cours d’emploi à l’OFPPT depuis la semaine dernière, Khalid Alaoui Hassani, 45 ans, assurait auparavant le poste de directeur de l’Enseignement professionnel au ministère chargé de la Formation professionnelle depuis 2002. Coordination pédagogique de la formation professionnelle, pilotage des mécanismes de promotion, de contrôle et d’évaluation de la formation continue: voilà un florilège des missions qu’il assurait.
Entre 2001 et 2002, il a été chef de la division de la coordination pédagogique et directeur de l’enseignement professionnel par intérim.
Avant d’officier à l’OFPPT, il a été ingénieur d’Etat à la direction du Contrôle des régies et des services concédés (1987-1988), ingénieur de production à la Samir (1986-1987).
Khalil Alaoui Hassani a fait ses armes au lycée Moulay-Slimane à Fès. Il est diplômé de l’Ecole Mohammadia d’ingénieurs, et ce, en électronique industrielle et en électrotechnique.

■ Jalal Charraf, 31 ans, assure désormais officiellement la direction centrale de l’Organisation et du Système d’information à l’OFPPT Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT). C’est également l’homme derrière «Synergence», la stratégie de l’Office pour le développement de la formation continue. Depuis mars 2005, Jalal Charaf s’est attelé à la restructuration du système des contrats spéciaux de formation. Avant son entrée à l’OFPPT, il a été, chargé de projets au groupe Banque mondiale (2003-2005), enseignant de mathématiques et sciences physiques puis directeur de développement à Al Akhawayn University (2000-2003). Il a également assuré la direction générale de Prefab du Gharb, Assistant Brand Manager de Procter & Gamble Morocco (1998), et il a travaillé aux Etats-Unis sur une chaîne de production de chocolat, The Wisconsin Cheesman.
Côté formation, le parcours de Jalal Charaf est tout aussi diversifié. Il est détenteur d’un «Master of engineering» en structures de la Cornell University, diplômé en ingénierie des arts et manufactures à l’Ecole centrale de Paris. Il a d’ailleurs été classé deuxième au concours d’entrée et a reçu la bourse de mérite.

■ Fouad Chraïbi retrouve ses premières amours
Après un parcours de 30 ans dans le management et la gestion des projets dans l’hôtellerie, Fouad Chraïbi, 58 ans, qui dirigeait un cabinet-conseil, retrouve son terrain de prédilection: depuis novembre 2006, il dirige la société de gestion du fonds d’investissement touristique du groupe Attijariwafa bank (Awb). L’ex-directeur général d’Accor Maroc retrouve ainsi un terrain qu’il affectionne particulièrement: le diagnostic, le montage et l’accompagnement des grands projets dans le tourisme. Dans la profession, ses pairs sont unanimes sur ses qualités de «développeur hôtelier».
C’est une consécration pour ce manager capable d’aligner des journées de travail marathoniennes de plus de 15 heures. Au lendemain de son départ du groupe Accor en juin 2002, Fouad Chraïbi se lance dans le consulting en créant le cabinet Tourisconseil, spécialisé dans le développement hôtelier et touristique. Deux ans plus tard, la Cnuced (Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement) le sollicite pour faire partie de son réseau de consultants.
Le plus gros de sa carrière, Fouad Chraïbi l’a passé chez Accor qu’il a rejoint au milieu des années 1980. Il y gravira un à un les échelons pour se voir confier la direction générale de la région Méditerranée, qui regroupait alors 9 pays avant la filiale marocaine du numéro un mondial de l’hôtellerie de janvier 2001 à juin 2002. Dans son cahier des charges, la direction des opérations de développement et de gestion de 21 hôtels, dont les enseignes Ibis et Sofitel. En parallèle, il assurait la présidence du directoire de Risma, le fonds d’investissement sur lequel Accor appuie son développement au Maroc en partenariat avec des institutionnels marocains.
Son «avant-Accor» a été tout aussi prolifique. Il a été directeur général du groupe Otic/Palmariva, a assuré plusieurs fonctions à l’ex-Banque commerciale du Maroc, administrateur général de Safir, directeur financier puis conseiller du PDG du CIH. Au début des années 1970, il a été chargé de missions auprès du Premier ministre Karim Lamrani, et il a assuré de nombreuses missions à la Cosumar. Il garde ses activités dans l’associatif, dont celle de président de l’Observatoire du tourisme. Fouad Chraïbi est diplômé d’HEC, promotion 1969.

Zakaria CHOUKRALLAH

11.1.07

Emploi & Carrière
Tirs croisés sur les low-cost sociaux
(Publié dans L'Economiste du 8/1/2007)

· Un rapport sur les enjeux sociaux de la concurrence internationale
· Restitution des aides perçues en cas de délocalisation


Passer d’une logique de « dumping social », c’est-à-dire «la recherche du plus bas niveau en matière de coûts salariaux ou de protection sociale», à un objectif de «mieux-disant social»; c’est presque un objectif de survie pour les entreprises européennes. Cela dit, la notion même de «dumping social» est sujette à débat. Les pays riches accusent les pays en voie de développement de jouer sur les conditions de travail, et notamment sur la couverture sociale, à des fins purement mercantiles, tandis que ces derniers considèrent les normes européennes comme une entrave à leur développement économique et une attitude protectionniste de la part de ces pays. Le Conseil économique et social français apporte une pierre à ce débat en publiant, en novembre 2006, un rapport intitulé «Enjeux sociaux et concurrence internationale: du dumping social au mieux-disant social».Dans ce document, une analyse du phénomène et, surtout, des propositions pour y faire face. Priorité du rapport: harmoniser les normes européennes en matière de droits sociaux. Les experts avancent l’idée d’un salaire minimum européen. Cependant, la divergence des cadres légaux en matière de salaires rend difficile son application. En outre, les modalités d’instauration de ce smig suscitent des intérrogations (instauration immédiate ou graduelle, par exemple). Certains proposent un salaire minimum proportionnel au pouvoir d’achat de chaque Etat membre.
· Délocalisations
Concernant la levée des obstacles à la libre-circulation des services, le problème se posait au niveau du principe du «pays d’origine». En clair, l’application des règles commerciales et sociales du pays où l’entreprise exerce ses prestations et non celles du pays où elle a été immatriculée. Le rapport fait appel à la jurisprudence, en rappellant l’affaire Vaxholm qui opposait une entreprise de construction lettone à la Suède, sur des questions de conditions de travail et de rémunération. Par décision de la Commission européenne, l’entreprise s’est vue obliger de se conformer aux règles sociales suédoises. Dorénavant, ce principe ne sera plus appliqué. Mais l’effet le plus redouté du dumping social, ce sont les délocalisations d’entreprises qui frappent de plein fouet la marché de l’emploi. Pis, ce ne sont plus les employés les moins qualifiés qui sont touchés, mais également les activités exigeant des qualifications élevées, type, développement des logiciels. Le rapport recommande une politique européenne. Pour cela, il propose un plan d’action. D’abord, prévenir les délocalisations. Comment? Essentiellement par une meilleure connaissance du marché du travail et des besoins de formation et d’élévation des qualifications des populations actives. Secundo: « accélérer la mise en place du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation », qui favorise le retour à l’emploi des travailleurs licenciés dans une logique de solidarité. Tertio: le remboursement des aides de l’UE par les entreprises qui ne respectent pas leurs engagements. Cela pourrait même aller jusqu’à rembourser les aides de l’UE en cas de délocalisation!Afin de sauvegarder le marché intérieur, il faudrait utiliser chaque fois que nécessaire les clauses de sauvegarde prévues par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dans les importataions. Ces clauses peuvent être mises en œuvre «lorsque les importations désorganisent ou risquent de désorganiser le marché des pays importateurs et/ou lorsque l’existence de pratiques de dumping commercial est établies». Elles permettent d’imposer un droit additionnel aux droits de douane.
· Simplifier la fiscalité
Le nerf de la guerre pour rester compétitif, selon le rapport, est la formation. Une des recommandations est l’accroissement de l’investissement dans l’enseignement. Ainsi, les dépenses totales par étudiant en France représentent le tiers de celles des Etats-Unis. Le rapport ajoute qu’il convient de développer des pôles d’excellence qui regroupent universités et organismes de recherche. Ce qui a été en partie réalisé avec les pôles de compétitivité lancés par le gouvernement En effet, les pays émergeants commencent à damer le pion aux européens sur le volet de la recherche et du développement. Dans la même optique, le rapport souligne qu’il faut aider les entreprises à «investir dans la recherche et l’innovation». L’attractivité du territoire pour les investisseurs est également une piste à explorer. Selon l’Agence française des investissements internationaux (Afii), les investissements étrangers ont doublé dans ce pays en 2005. Mais le rapport ne s’arrête pas sur ces acquis. Il préconise une communication accrue sur des atouts tels la qualification des salariés, une protection sociale de haut niveau, des infrastructures adaptées et des services publics développés. Il insiste aussi sur la simplification de la fiscalité des entreprises. Il faut signaler que le président Jacques Chirac vient de proposer un IS à 20%. Pour cela, il faut «conforter et amplifier les dispositions fiscales incitatives en faveur des investissements matériels et immatériels» et «donner aux entreprises davantage de lisibilité et de stabilité » en simplifiant davantage la fiscalité. Sur un autre volet, le rapport insiste beaucoup sur la réforme des cotisations sociales, et avancent différentes propositions, dont la «TVA sociale» (cf. encadré). Mais le document reconnaît que le débat est loin d’être tranché. Aucun consensus n’est à l’ordre du jour pour ce volet.
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Le modèle social européen
Le modèle européen repose sur trois principes : le soutien au marché, un haut niveau de protection sociale et le développement du dialogue social. Concrètement, il suit les directives de la confédération européenne des syndicats (CES) qui préconose une protection sociale développée couvrant la santé, la sécurité, des limites au temps de travail, les congès, le droit de grève, etc. Toutefois, le caractère contraignant de ce modèle pose aux 27 le problème de sa mise en œuvre.
TVA sociale, quèsaco?
Il s’agit d’une TVA réévaluée de façon à faire supporter aux produits importés une taxation. Jean Arthuis, sénateur français à l’origine de cette proposition, distingue entre les cotisations liées au travail (retraite, accidents de travail, etc) et celles qui relèvent de la «politique familiale et la politique de la santé». La réforme consiste à déconnecter la seconde catégorie de l’assiette des salaires. Au rayon avantages : la baisse du coût de travail grâce à la diminution du poids des cotisations sociales, ce qui améliore la compétitivité des produits et services français. Evidemment, cela conduit à l’augmentation de la demande sur les produits français et, à terme, favorise l’emploi. Cependant, c’est loin d’être la panacée. En effet, la limitation de la TVA à 25% dans l’UE amondri la portée en termes de recettes. De surcroît, les autres pays européens pourraient adopter cette mesure et du coup annuler son avantage compétitif pour la France. Mais le principal reproche tient au fait que la TVA sociale pèserait sur les ménages de manière injuste. Un débat à suivre.
Zakaria Choukrallah

Plantes aromatiques: Filière cherche mise à niveau
(Article publié dans L'Economiste le 2/1/2007)

· Les opérateurs appellent à la création d’un « label Maroc »
· D’autres priorités: élaborer une base de données sur les plantes
· Et améliorer la qualité du produit et de l’emballage
«Ce projet aurait dû s’appeler «Ac3»: Coordination, collaboration et communication», s’amuse à dire Patrick Papania, chargé du projet AP3 -partenariats agricoles pour la productivité et la prospérité - au sein de l’Agence américaine pour le développement (USAID), lors de la première journée nationale de réflexion sur les plantes aromatiques et médicinales (PAM), le mardi 19 décembre à Rabat. Cette réflexion n’est pas anodine, tant les opérateurs du secteur se plaignent du manque de coordination et de communication dans la filière. Pallier le déficit de communication est la mission première de ce projet : « L’Usaid n’est pas là uniquement pour assister financièrement. Sa vocation première est de réunir tous les collaborateurs autour d’une seule table», estime PAPANIA. Ainsi, industriels, producteurs, herboristes, chercheurs et responsables des ministères de la Santé, de l’Enseignement et du Haut commissariat au Plan ont répondu à l’appel de l’Usaid pour élaborer ensemble une stratégie de valorisation des PAM. « Il devient urgent de faire face à la concurrence des autres pays exportateurs, comme la Tunisie », s’accordent à dire les professionnels qui ont pris part aux trois ateliers (« Information/Investissement/Commercialisation », «Préservation des ressources » et « Certification et organisation de la filière»).
· Investissement et commercialisation
La commercialisation et l’investissement ont sucité beaucoup de débat. Au Maroc, tout reste à faire, à commencer par une base de donnés complète comprenant la cartographie et l’inventaire des espèces existentes. Mais attention, ces informations stratégiques ne seront pas gratuites, seuls les investisseurs marocains membres de cette future structure pourront en profiter, moyennant une contribution. « C’est ce qui se fait aux Etats Unis et en Europe », explique Karim Belkheir, de la plantation Four Season. La société « Les Arômes du Maroc » a même eu recours à un cabinet étranger pour réaliser une étude. Pourtant, Boubker Latrach, directeur général de cette société, tempère : « Il est vrai qu’un état des lieux, notamment au niveau des quantités s’impose. Mais il faudrait déjà rassembler dans une même base de données les informations existantes ». Là encore, le manque de coordination dans la filière est pointé du doigt. Autre recommandation de l’atelier : «étudier les conditions de domestication des plantes aromatiques et médicinales, et particulièrement celles menacées où à forte valeur ajoutée ». Si les détracteurs de la domestication avancent l’argument du stress hydrique, les opportunités d’affaire sont là. « Les Arômes du Maroc» ont été les premiers à introduire cette technique. Aujourd’hui, ils ont réussi à implanter deux nouvelles espèces: la «Rose Centifola» et «l’Iris Palida». Des variétés qui poussent normalement en Europe. Le reste des recommandations de cet atelier sont « l’encouragement des études de faisabilité» et «l’orientation des investisseurs sur les produits à forte valeur ajoutée», mais aussi «l’étude des conditions de «préservation, de conservation et de valorisation des PAM». Au niveau de la commercialisation, le point d’orgue a été l’appel à la création de normes nationales alignées avec les normes étrangères. Et ce, pour arriver à élaborer un « label qualité Maroc». Pour cela, il faut améliorer la qualité des produits et leur conditionnement. En effet, la plupart des industriels sont contraints d’importer les emballages, faute d’infrastructures. L’atelier a également appellé à instituer une mercuriale des prix, afin de tenir informés l’ensemble des intervenants. Par ailleurs, parmi les recommandations, figure la juste rémunération de la matière première. Il faut signaler que les populations qui font la cueillette sont la majorité du temps sous-payés (ndlr : 30 centimes le kilo, cf. www.leconomiste.com).
· Comité ad-hoc
L’aspect financement et incitation économique a été évoqué, l’atelier recommande la mise en place d’une ligne de financement pour encourager l’investissement. « A l’heure actuelle, on ne connaît pas les détails, confie une source au Haut Commissariat aux Eaux et Forêts, mais il est probable que ce soit sous forme de crédits bancaires ». Précisons que ces recommandations sont encore à l’état de projet, et qu’un comité ad-hoc sera chargé de les concrétiser. Pour ce faire, l’atelier a recommandé que le Haut Commissariat aux Eaux et Forêt et à la Lutte contre la Désertification (HCEFLCD) prenne cette initiative. Les associations professionnelles, à commencer par la Société Marocaine des Plantes Aromatiques et Médicinales (SOMAPAM), les représentants des pouvoirs publics et les organisations internationales (FAO, OMS, etc.) feront partie de ce comité. La première journée nationale de valorisation des PAM a eu ce mérite : réunir tous les intervenants du secteur autour d’une même table. « Au moins maintenant, nous avons des théoriciens », confie un industriel présent lors de cette journée. Reste à savoir combien de temps sépare la théorie de la pratique.
Zakaria CHOUKRALLAH

Pêche/surexploitation: Les mises en garde d’un expert français
(Article publié dans L'Economiste du 28/12/2006)

· Repos biologique: c’est bien pour se rassurer, mais ce n’est pas toujours efficace
· L’importance des approches «écosystémiques»
· Maroc/UE: L’effort de pêche est trop élevé
La surexploitation des océans pousse les experts à s’inquiéter sur l’avenir de la pêche. Les estimations les plus pessimistes parlent de l’épuisement des ressources halieutiques à l’horizon 2047. Invité au Maroc pour intervenir sur le thème de «la recherche face au défi de l’avenir des écosystèmes marins, de la pêche et de l’aquaculture», Patrice Cayré, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), délivre son avis d’expert sur ces estimations et analyse le cas du Maroc.
· L’Economiste: Quelle est la situation mondiale des pêches?
- Patrice Cayré: La situation mondiale des pêches est très mauvaise. Près de 75% des espèces sont pleinement exploitées, voire surexploitées. Cela veut dire que ces espèces vont soit disparaître, soit ne plus être disponibles en quantités significatives.
· Les projections des spécialistes sont alarmantes. Qu’est-ce qui permet de dresser ce scénario catastrophe?
- Vous faites référence à un article publié par la revue «Science» prévoyant la disparition de toutes les espèces de poisson en 2047. C’est une prévision volontairement alarmiste dont on a beaucoup parlé et qui est basée sur l’hypothèse que rien ne changera d’ici là. Les Etats en charge de la gestion des pêches, ainsi que les scientifiques, travaillent sur des mesures.
· Et quelles sont ces mesures, concrètement?
- La voie la plus prometteuse est l’approche «écosystémique» qui prend en compte l’impact de la pêche sur l’ensemble d’un écosystème. Cette méthode a été préconisée lors de la conférence internationale de Reykjavik (Islande) en 2001. Elle consiste à déterminer les indicateurs de santé d’un écosystème et de réglementer la pêche selon la situation. A cet effet, l’aménagement d’aires protégées peut être une solution efficace. A condition que ce ne soit pas uniquement pour donner une image de souci écologique. Car ces dernières années, on voit éclore des aires marines protégées un peu partout dans le monde par simple mimétisme. · Quelles sont les espèces les plus menacées?
- Ce sont les grands carnivores, au sommet de la chaîne alimentaire, qui sont les plus menacés. Au Maroc, le bar et le mérou, au Canada, la morue, et en Méditerranée, le thon rouge. La liste est encore longue. D’une manière générale, les poissons les plus prisés par les consommateurs sont davantage menacés.
· Comment concilier entre la préservation des poissons et le développement de ce secteur?
- Il faut bien comprendre que le développement économique n’est pas incompatible avec des mesures de protection et de limitation des pêches. L’Etat a un rôle régulateur extrêmement important à jouer à une échelle bien supérieure aux intérêts égoïstes d’un individu ou d’une entreprise.
· Quelle est la situation pour ce qui est du littoral marocain?
- Depuis 2001 où les pêches au Maroc ont atteint un pic d’un million de tonnes, la tendance est à la baisse. De plus, malgré la suspension des accords de pêche, les captures de poisson n’ont pas augmenté.
· Justement, dans quelle mesure l’accord de pêche Maroc/UE menace-t-il les ressources halieutiques?
- Le problème vient de l’effort de pêche trop important qui concerne non seulement la flotte étrangère, mais également les pêcheurs industriels marocains. Les navires étrangers et marocains capturent les mêmes espèces et ont accès au même marché. De plus, pour un pays comme le Maroc, les considérations économiques sont déterminantes. Les accords de pêche permettent la création de 16.000 emplois et représentent une rentrée d’argent pour l’Etat marocain. Bref, je ne nie pas que quelque chose ne va pas, mais chacun rejette la responsabilité sur l’autre.
· Les périodes de repos biologiques sont-elles suffisantes?
- Disons que c’est une notion rassurante que tout le monde peut comprendre, mais qui, dans la réalité, n’a pas une efficacité toujours significative. · Si on prend l’exemple du poulpe?- Il faut savoir que le poulpe est une espèce qui vit très peu de temps, un an à peu près. De plus, après chaque reproduction, la femelle meurt. Dépassé un certain seuil de capture, on peut craindre la raréfaction de quantités significatives de cette espèce.
· Qu’en est-il de la surexploitation de l’algue rouge marine?-
Cela ne représente pas de danger pour l’écosystème. Mais il ne faudrait pas qu’elle disparaisse. La nature ayant horreur du vide, une autre algue viendra la remplacer. Il faudrait arriver à préserver certaines surfaces de l’exploitation. Par exemple, garder une bande inexploitée tous les 150 mètres comme cela se fait dans d’autres pays.
('encadré)
Un expert très sollicité
Patrice Cayré est océanographe biologiste spécialisé en halieutique. Il est directeur du département de recherche sur les «ressources vivantes» de l’IRD (Institut de recherche pour le développement). Le professeur Cayré est l’auteur de nombreux ouvrages et publications scientifiques sur la dynamique et l’ethnologie des thons tropicaux. Il est par ailleurs un des experts chargé par la Banque mondiale, la FAO et l’Unesco de procéder à une évaluation prospective mondiale de la recherche agricole pour le développement.Patrice Cayré est décoré par l’Etat français de l’Ordre national du Mérite au grade de Chevalier.
Propos recueillis par Zakaria CHOUKRALLAH