Un potentiel sous-exploité
(l'Economiste du 10/10/2006)
· 891 millions de DH en exportation·
Le retard technologique pénalise la filière
Le marché mondial des plantes aromatiques et médicinales (PAM) est estimé à 30 milliards de dollars. Normal, 80% des médicaments sont à base de plantes médicinales, et de plus la tendance actuelle est à la médecine naturelle et à la phytothérapie. Le Maroc a un patrimoine qui le classe deuxième en matière de PAM dans la Méditerranée, selon Ismaïli Alaoui, professeur à l’Institut agronomique et vétérinaire. En effet, la situation géographique du Maroc, entouré de deux mers et d’un désert, lui confère un climat propice au développement de ces plantes. Thym, romarin, lichen, laurier, etc. pour ne citer que les variétés les plus connues et les plus exploitées. Les plantes se trouvent généralement dans des zones excentrées, très pauvres. Ils sont une source de revenus importante pour les populations. Ainsi, l’activité génère 500.000 journées de travail par an, d’après une étude du Haut-commissariat aux eaux et forêts. Dans la région d’El Kelâa par exemple, un hectare de romarin ou de rose peut rapporter l’équivalent de 35 à 70 quintaux de blé. La production est essentiellement destinée à l’export. D’après les chiffres du comptoir des exportations, le Maroc a exporté entre juillet 2004 et juin 2005 l’équivalent de 891 millions de dirhams. A titre de comparaison, en 2002 la valeur exportée était de 547 millions de DH. Un bon score mais l’évolution se situe principalement sur le volume. La qualité, elle, demeure moindre. De surcroît, le Maroc subit la concurrence de pays comme la Tunisie ou l’Espagne, qui disposent d’un produit plus raffiné grâce à une technologie d’extraction plus évoluée. Selon le rapport des Eaux et Forêts, «les techniques de transformation utilisées par les professionnels marocains sont souvent simples et artisanales en raison du faible niveau d’encadrement et d’investissement».
· Revoir la chaîne de production
«Une plante contient des centaines de molécules. Il faut parvenir à les séparer pour vendre un produit à forte valeur ajoutée», explique Ismaïli Alaoui. De plus, «une plante cueillie à 6 heures du matin n’est plus la même cueillie en fin d’après-midi», poursuit-il. Un grand effort de sensibilisation et de formation reste donc à faire. Une mission confiée à l’Institut national des plantes aromatiques et médicinales (Inpam), qui démarrera les formations à partir de 2007 (cf. www.leconomiste.com). La formation portera sur tous les métiers des PAM, de la cueillette à la mise en boîte, en passant par le séchage et la distillation. Toute la chaîne de production doit être revue pour améliorer la qualité. A commencer par les premiers maillons de la chaîne, les ouvriers, et particulièrement les femmes qui représentent 70% des cueilleurs. Selon Saâdia Zrira, membre de l’Association marocaine pour le développement des plantes aromatiques et médicinales, «Les producteurs pensent uniquement au profit. Les populations qui font la récolte ne sont pas bien payées. Pour trente centimes le kilo, elles coupent de manière anarchique, ce qui a une incidence sur le patrimoine national en PAM». Le séchage des plantes pose aussi problème. D’abord la technique, qui consiste à étaler les plantes au soleil, est désuète. Elle fait perdre les qualités aromatiques du produit. Pour les préserver, il faut préférer le séchage industriel qui nécessite un matériel évolué. ·
«Codex aromatique»
Le retard technologique et le mode de cession des exploitations de PAM sont les principaux freins au développement de l’activité, selon les industriels. Actuellement, les terres riches en plantes médicinales sont «prêtées» pour une durée déterminée aux exploitants moyennant une somme qui est versée au Haut-commissariat aux eaux et forêts. C’est donc des ventes par voie d’adjudications publiques. Le mode de cession en vigueur porte uniquement sur le droit de collecte du produit et pour une durée ne dépassant pas une campagne de récolte. Tout au plus une année. Une durée jugée insuffisante par le professeur Alaoui, également à la tête d’un projet-pilote à Errachidia. La nouvelle formule à l’étude s’étale sur une durée de 3 ans renouvelable trois fois. Avec ce système, l’exploitant rentre dans ses frais tout en devant se conformer à un cahier des charges comportant un volet socioéconomique. Un succès, si on en croit Ismaïli Alaoui qui assure qu’en 5 ans la région a bénéficié de 900.000 dirhams de rentrées directes grâce à l’exploitation. Soit près de dix fois plus qu’en 15 ans! ( 16.800 DH, ndlr). Grâce à une unité de production de 2,5 millions de DH, la qualité de l’huile produite est aux normes internationales. Ce projet montre la voie, mais demeure difficile à appliquer. En effet, tout autour de l’opération-pilote, les petits exploitants continuent de produire de la mauvaise qualité, ce qui pollue le marché et tire les prix vers le bas. «Entre une huile à 500 DH et une de moindre qualité à 100 DH, le choix et vite fait», s’indigne le professeur. La prochaine étape est donc de généraliser ce type d’exploitations. Il est également nécessaire de mettre en place un «Codex aromatique», poursuit le professeur. C’est, en des termes plus simples, un recensement précis et scientifique de toutes les espèces qui poussent au Maroc. «Plus on connaît ce que l’on vend, plus on est respecté et plus on peut négocier les prix à la hausse», assure le professeur. Les importateurs étrangers préfèrent acheter un produit de mauvaise qualité mais bon marché, qu’ils peuvent toujours «rectifier» dans leurs usines, qu’un produit cher de qualité. Ceux qui produisent de la qualité sont concurrencés par le tout-venant. Il ne faut pas perdre de vue que «n’importe quel produit destiné aux consommateurs doit être connu, de la fourche à la fourchette», estime le professeur.
Zakaria CHOUKRALLAH
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