17.10.07

Lendemains électoraux houleux pour le PJD

Publié dans La Vie Eco du 12/10/2007

http://www.lavieeco.com/Politique/lendemains-electoraux-houleux-pour-le-pjd

Un mois après les élections, il n’arrive toujours pas à digérer son résultat «mitigé».
Abdelilah Benkirane et Mustapha Khalfi accusent le parti de fuir ses responsabilités.
Image brouillée, couverture insuffisante du Rif, du sud et du monde rural, alliances contre-productives... les raisons abondent.


Ça bouillonne au PJD. Le parti islamiste n’arrive pas à digérer le fait de s’être fait distancer par l’Istiqlal alors qu’il avait prévu de prendre une confortable avance sur l’ensemble des formations politiques. Un mois après les élections du 7 septembre dernier, on cherche toujours à savoir le comment du pourquoi, à déterminer où se situent les responsabilités, à chercher des coupables. Les militants ont beau contester la position officielle du parti qui attribue son classement aux tripatouillages électoraux, ils restent divisés quant à ses causes véritables.

A la tête d’une fronde qui ne dit pas son nom, Abdelilah Benkirane, président du conseil national. Dans le quotidien Attajdid du 20 septembre dernier, il s’était livré à une critique sévère de la ligne politique du parti, l’accusant d’être responsable de son isolement politique. Récidivant dans les colonnes de l’hebdomadaire Al Watan Al An deux jours plus tard, il affirmait même que cette conduite avait empêché le PJD de participer au gouvernement de 2002 et même à celui de 1997. Parmi les autres explications possibles, Mustapha Ramid, membre du secrétariat général - et fraîchement élu à la tête du groupe parlementaire du parti - s’aligne sur la position officielle qui considère que le PJD a été victime de la corruption et de la neutralité négative de l’Administration. Une attitude peu en rapport avec le tempérament de l’homme turbulent du PJD ! Mais ce dernier prend soin de rappeler qu’il n’a jamais hésité à critiquer la gestion du secrétariat général, mais qu’il n’a pas de raisons de le faire à propos des législatives, même s’il reconnaît que le parti a commis quelques erreurs. Mustapha Khalfi, membre du Conseil national, lui emboîte le pas dans les colonnes de l’hebdomadaire Al Ayyam du 22 septembre, et propose, lui, une évaluation du nombre de sièges perdus et une analyse des raisons qui ont acculé le PJD à se retrouver dans l’opposition.
Même en tenant compte des prétendues fraudes,

les 70 sièges étaient un objectif trop élevé
Le PJD serait-il en train de vivre les prémices d’une scission ? « Absolument pas. Nous sommes plus forts que jamais», s’emporte Lahcen Daoudi, vice-secrétaire général. Un niet catégorique partagé par le politologue et spécialiste des mouvements islamistes, Mohamed Darif : «C’est normal qu’il y ait des divergences, l’essentiel, c’est qu’elles ne touchent pas aux constantes du parti. Abdelilah Benkirane essaye de redynamiser et de relancer le débat», explique-t-il.

Quelles sont les causes attribuées à la mauvaise performance du PJD ? Essentiellement un excès de confiance. A la veille des élections, les médias internationaux s’étaient intéressés presque exclusivement au parti, les sondages lui prévoyant une victoire éclatante. Prudent au départ, le PJD avait fini par y croire lui-même, attendant seulement d’entériner sa consécration en tant que «première force politique du Royaume avec au moins 70 sièges». Le réveil fut brutal, avec seulement 46 sièges, soit la deuxième place derrière le parti de l’Istiqlal (52 sièges). Un recul ? «Non, eu égard au système partisan, au mode de scrutin à la proportionnelle et au découpage électoral», tempère Mohamed Darif. Le PJD a quand même conforté sa position en passant de la troisième à la deuxième place et en gagnant même deux sièges par rapport à 2002.

Discours édulcoré, démissions, le PJD est un parti comme les autres
Malgré tout, les contestataires sont inconsolables. «Donner du crédit aux sondages et aux prévisions a certainement poussé des sympathisants à ne pas se rendre aux urnes le jour du vote, croyant la victoire assurée», regrette Mustapha Khalfi. Abdelaziz Rebbah, chef de la Jeunesse du parti, abonde dans le même sens : «Nous savions que l’argent allait être utilisé, que l’Administration n’était pas bien préparée mais, malgré cela, nous avons péché par excès de confiance. Il aurait fallu mobiliser toutes les sections du parti pour aider les citoyens à récupérer leurs cartes électorales. Et, surtout, il fallait couvrir tous les bureaux de vote», regrette-t-il. Autre grande erreur, selon Mustapha Khalfi : le parti a placé la barre trop haut en prédisant 70 sièges. «Les 70 sièges sont une estimation pré-électorale. Si on retirait de ce chiffre les 7 sièges de la liste locale et les 3 sièges de la liste nationale que nous avons perdus à cause des fraudes, le total est de 60 sièges, et même ce score, nous ne l’avons pas obtenu, pour des raisons inhérentes à la gestion de la campagne par le parti».

Qu’est-ce qui a joué alors ? En fait, le PJD a tout simplement été victime du mythe de l’icône. En se plaçant dans le jeu électoral en tant que parti comme les autres, il a perdu de son aura. Les accréditations à la députation ont même été à l’origine d’une série de démissions qui ont fait tomber le mythe du parti discipliné, de même que le «parachutage», dans de nouvelles circonscriptions, de membres dirigeants en perte de popularité dans leurs fiefs d’origine.

Dans d’autres cas, ce sont les alliances qui ont joué contre le parti. Ainsi en est-il, à Casa Anfa, de la défaite du président de Forces citoyennes (FC), Abderrahim Lahjouji, soutenu par le parti, face à Abdelbari Zemzmi, candidat du Parti de la renaissance et de la vertu (PRV). L’alliance avec FC, qui marquait un désir d’ouverture vers les autres partis et la volonté de rompre avec l’image d’un parti islamiste, s’est traduite par un discours plus lisse et consensuel qui, selon Mustapha Khalfi, a fait perdre des voix au PJD. Le parti a-t-il alors péché pour avoir abandonné son discours islamiste ? Peut-être. Mustapha Khalfi relève que l’aile radicale du parti, le Mouvement unicité et réforme (MUR), qui a les faveurs de l’électorat le plus orthodoxe, ne s’est pas mobilisé pendant les élections, pas plus qu’Attajdid, son journal officiel, n’a milité en faveur du parti. Un immobilisme que Mohamed Darif explique fort bien : «Après les attentats du 16 Mai 2003, le PJD a été appelé à se démarquer du MUR, association religieuse de prédication, et le Roi a insisté sur la nécessité de ne pas faire l’amalgame entre le religieux et le politique. C’est pour traduire cette volonté de l’Etat qu’Attajdid a pris une position qui ne traduit pas essentiellement celle du parti».

Enfin, autre explication, celle de l’implantation. Dans le rural, le Rif et le sud, le parti d’Elotmani ne s’est classé premier nulle part. «Le PJD reste un phénomène urbain. A la campagne, nous avons des sympathisants, mais pas assez de sections. Il est clair que le renforcement du parti dans le rural est l’un des grands chantiers à ouvrir», avoue Abdelaziz Rebbah, rejoint dans cette analyse par Mohamed Darif qui estime que le PJD étant encore un parti jeune, il n’a pas encore eu le temps d’imposer ses figures dans la campagne, où l’on vote encore pour des notables.

Zakaria Choukrallah

Les candidats se préparent à livrer leurs comptes électoraux

Publié dans La Vie Eco du 5/10/2007

http://www.lavieeco.com/Politique/les-candidats-se-preparent-a-livrer-leurs-comptes-electoraux

Le 9 octobre, dernier délai pour fournir les détails des dépenses électorales à la Cour des comptes.
Les partis assurent qu’ils seront prêts et chacun aide ses candidats à sa manière.
Proposition : adapter le plafond de 250 000 DH à la taille et à la nature des circonscriptions.


Les candidats aux législatives du 7 septembre dernier parviendront-ils à déposer à temps leurs déclarations de dépenses de la campagne électorale ? Selon le Code électoral, quiconque s’est présenté aux élections se doit de divulguer ses comptes à la Cour des comptes de Rabat au plus tard un mois après la proclamation des résultats, en l’occurence mardi 9 octobre, sous peine de sanctions, comme l’a rappelé le ministère de l’intérieur. La loi prévoit un plafond de 250 000 DH par candidat et oblige les formations qui ont obtenu moins de 5% des voix à rembourser l’aide que leur a versée l’Etat. Les partis contactés se disent confiants et annoncent que leurs candidats parviendront sans peine à respecter le délai. Ce qui ne les empêche pas de se mobiliser, les uns en envoyant une circulaire interne à leurs candidats, d’autres allant jusqu’à les assister voire faire pression sur eux pour s’assurer qu’ils ne feront pas défaut. «Nous avons mis à la disposition de nos candidats des comptables pour les aider», déclare Mustapha Adichane, responsable de communication au Parti du progrès et du socialisme. Du côté des travaillistes, l’on essaie d’aiguiller au maximum les candidats. «Le bureau politique a préparé un modèle de déclaration facile à suivre, divisé en une dizaine de rubriques : repas, gasoil, location de locaux, de voitures, etc.», assure Abdelkrim Benatiq, secrétaire général du Parti travailliste. Le Parti de l’Istiqlal, pour sa part, met à disposition de ses candidats une cellule chargée de les assister. Le Parti socialiste unifié s’est même imposé la date du 1er octobre comme deadline interne : «Nous espérons être les premiers à déposer toutes nos déclarations, et, de toutes les manières, nous nous imposons toujours de tenir une comptabilité rigoureuse», lance Mohamed Daidaa, trésorier du PSU durant la campagne électorale.

On est tenté de penser que si les partis affichent pareille sérénité, c’est que leurs candidats ont déjà déposé un grand nombre de dossiers. On en est loin, assure une source à la Cour des comptes : «Il est encore trop tôt pour savoir si les candidats tiendront leurs promesses et livreront les dossiers à temps. Nous n’avons reçu que très peu de dossiers, en général, ils s’y prennent à la dernière minute». Même le PSU qui veut absolument être le premier, n’avait, à la date du 27 septembre, déposé que 6 dossiers sur un total de 48 candidatures.

Que risquent les retardataires ? Quels sont les justificatifs à fournir ? Selon l’article 290 du Code électoral, «chaque candidat établit un état des dépenses engagées par lui à l’occasion de sa campagne électorale auquel sont jointes les pièces justifiant lesdites dépenses». En d’autres termes, il s’agit de rassembler toutes les factures de transport, de frais de personnel, d’impression, etc.

Tout doit être justifié par facture
Qui épluche les comptes des candidats ? Tout est centralisé au niveau de la Cour des comptes de Rabat, à laquelle les personnes qui se sont présentées aux élections, qu’elles aient remporté un siège ou pas, sont tenues de présenter leurs justificatifs de dépenses. La Cour des comptes formule un avis d’expert qui est ensuite étudié au niveau d’une commission présidée par un magistrat de ladite cour et comprenant un magistrat de la Cour suprême désigné par le ministère de la justice, un représentant du ministère de l’intérieur et un inspecteur des finances. «Notre rôle se limite à vérifier si les déclarations sont conformes à la loi et de communiquer nos conclusions sous forme de rapport aux autres membres de la commission. C’est à eux seuls qu’incombe la décision de recourir a la justice ou non», explique une source à la Cour des comptes. Avant d’en arriver là, certains dossiers seront rejetés, essentiellement pour deux raisons : un retard de livraison, ou encore des factures inadéquates. «Quand ça arrive, le dossier est refusé, et le candidat doit, soit justifier convenablement avec des factures, soit rembourser la somme déclarée», ajoute ce responsable de la Cour des comptes.

Pourquoi obliger les candidats à déclarer le détail de leurs dépenses ? Pour la bonne raison qu’il s’agit de deniers publics. Une avance de 200 MDH a été distribuée aux partis sur la base de plusieurs critères (nombre de circonscriptions couvertes, représentation au Parlement, etc.). Sur ce même budget, une somme forfaitaire de 500 000 DH a été octroyée aux petits partis pour soutenir les candidats les moins riches. Que se passe-t-il quand c’est le parti politique qui gère la totalité de l’aide ? Comment la Cour des comptes arrive-t-elle à distinguer les sommes utilisées par le parti de celles dépensées par le candidat ? Pour résoudre ce problème, le contrôle se fait en deux temps. Exemple : un candidat déclare avoir dépensé 200 000 DH sur le terrain. A cela s’ajoute la somme de 20000 DH déclarée par le parti, qui correspond aux imprimés et tracts envoyés au candidat.

A quoi correspond le plafond de 250 000 DH imposé par candidat et par circonscription ? Comment garantir son respect ? Si, dans l’esprit du législateur, cette aide vise à réduire les écarts entre candidats riches et candidats pauvres, elle est jugée insuffisante par les petits partis. Un simple calcul leur donne raison. Ainsi, pour les petits partis, les 500 000 DH forfaitaires répartis sur les 95 circonscriptions donnent 5 263 DH à allouer pour chacune. «5 000 DH par candidat, ce n’est même pas de quoi assurer les repas du staff. Nous avons dû contracter un crédit bancaire pour boucler le budget», assure Mustapha Adichane, du PPS. Mais, en réalité, tout dépend de l’étendue géographique de la circonscription électorale dont il est question et de sa nature urbaine ou rurale. Plus la circonscription est vaste et plus les frais d’essence s’envolent, par exemple.

Abdelhamid Khalil, membre du bureau exécutif du RNI, estime que le plafond de 250 000 DH ne correspond plus à la réalité, d’autant plus qu’il date de l’époque du scrutin uninominal. «Il faut faire une estimation plus réaliste des besoins des candidats selon la circonscription. C’est la meilleure façon d’éviter les fraudes au niveau des comptes». Certains estiment pourtant ce plafond raisonnable. C’est le cas de Abdelouahed Souheil, candidat malheureux du PPS qui déclare que la totalité de ses frais de campagne oscille entre 120000 et 130 000 DH. «Pour faire une campagne politique, c’est suffisant», assure-t-il.

Zakaria Choukrallah

USFP, le moment de vérité

Publié dans La Vie Eco du 30/09/2007

http://www.lavieeco.com/Politique/usfp-le-moment-de-verite

Le parti a réuni son conseil national jeudi 27 septembre pour trancher sur sa participation au gouvernement.
Absence de mise en exergue de son propre bilan, mauvais choix de candidats, attaques de la presse..., diverses raisons sont invoquées pour expliquer la débâcle du parti.


Jeudi 27 septembre, 9 rue El Arâr. Dans l’immeuble très chic qui lui sert de quartier général à Rabat, l’USFP réunissait son conseil national. Objectif? Trancher entre la participation du parti au prochain tour de table du gouvernement El Fassi et un passage à l’opposition.

Jamais depuis son retour à la majorité gouvernementale, en 1997, l’USFP ne s’était trouvée dans une situation pareille. A peine 38 sièges remportés aux législatives, mais surtout une cinquième place, soit quasiment la dernière parmi les gros partis et l’Istiqlal, éternel rival, qui se classe premier.

La tenue de ce conseil se présente donc comme l’occasion d’une véritable catharsis pour les militants, et une opportunité pour les voix contestataires de s’exprimer «dans le cadre des institutions du parti», conformément aux souhaits du numéro 1 du parti, Mohamed Elyazghi. Ce dernier avait-il le choix ? Depuis la publication des résultats, moult voix se sont élevées, au sein du parti, pour réclamer qui la refondation de l’USFP, qui un retour à l’opposition et qui, même, la démission du bureau politique et de son premier secrétaire, souvent les trois à la fois.

La tension s’est exacerbée au point que, dans un communiqué daté du 14 septembre, le secrétariat régional du parti à Tanger appelait publiquement le bureau politique à «présenter sa démission et à la tenue d’un congrès exceptionnel pour élire une nouvelle instance dirigeante». A l’origine de la colère des militants de Tanger, le fait que le parti ait imposé, pour la circonscription locale, sans l’aval de la base, des candidats dont le fils du premier secrétaire, Omar Elyazghi, et son directeur de cabinet au ministère de l’aménagement du territoire, Mohamed Benabdelkader, qui ont subi tous deux une cuisante défaite aux élections, alors que Mohamed Achboun, qui bénéficiait du soutien des bases mais qui n’avait pas reçu l’accréditation de l’USFP, a réussi à décrocher un siège sous l’étiquette SAP (sans appartenance politique), se classant troisième avec la bagatelle de 13,3% des voix contre seulement 1,7 % pour son «concurrent» USFP. Joint au téléphone par La Vie éco, le secrétaire régional de l’USFP à Tanger, Mustapha El Karkri, est catégorique. Pour lui, «si l’USFP a perdu, c’est à cause des candidats parachutés par la direction, en plus des multiples atermoiements qui ont précédé leur désignation et qui ont énormément pénalisé la campagne. Pour rester conséquents avec la logique de l’Internationale socialiste, il faut que le bureau politique démissionne ! ».

L’USFP victime des échecs du gouvernement ?
Même si ces candidatures ont posé problème, elles n’expliquent pas à elles seules la déconfiture du parti qui est passé de la première position en 2002, avec 50 sièges, à la cinquième en 2007, avec 38 sièges, derrière l’Istiqlal (52 sièges), le PJD (46 sièges), le Mouvement populaire (41 sièges) et le RNI (39 sièges). Cela, sachant que les résultats de 2002 eux-mêmes montrent une tendance à la baisse par rapport à ceux de 1997 (55 sièges).

Détail non négligeable, bon nombre de grosses pointures de l’USFP ont essuyé un échec retentissant aux élections : Mohamed Achaâri et Nezha Chekrouni, tous deux membres du gouvernement sortant ; Driss Lachgar, président du groupe parlementaire sortant, ou encore des militants connus comme Abdelkabir Tabih, Mohamed Karam, Omar El Gharbaoui, etc. Comment expliquer cette défaite ? Au sein de l’USFP, on avance, entre autres explications, le fait que le parti a assumé le bilan du gouvernement dans son intégralité. Dans une interview accordée à l’hebdomadaire Al Ayam, le 15 septembre courant, Mohamed El Yazghi, se justifiant, assurait que l’USFP ne tient pas de «double langage» quand il s’agit de bilan. Décryptez : contrairement à l’Istiqlal, nous assumons tout et pas uniquement le bilan individuel de nos ministres. «Nous avons été les seuls à endosser courageusement le bilan du gouvernement. Nous avons même distribué lors de la campagne une brochure qui y était consacrée», ajoute pour sa part Abderrahman Amrani, membre du conseil national de l’USFP. «Les électeurs ne votent pas pour le passé et pour un bilan, quel qu’il soit, positif ou non. De plus, dans l’imaginaire du Marocain moyen, l’USFP représente à elle seule le gouvernement. Les attentes étaient grandes, nous étions une légende. La déception a été du même niveau. Tous les ratés du gouvernement ont été mis sur le dos de l’USFP et celle-ci a creusé le sillon en assumant tout», ajoute Hassan Tariq, ancien secrétaire général de la Chabiba ittihadie. Son prédécesseur, Soufiane Khairat, va plus loin : selon lui, les gens sont désormais convaincus que l’USFP a atteint ses limites, donc pourquoi voter pour ce parti ? «Il fallait présenter un programme de rupture, pas de continuité. Résultat, nous avons perdu 500 000 voix en 5 ans», se désole-t-il.

Pas assez de proximité et des ministres très critiqués
Qu’en est-il des reproches très rudes et souvent fondés à propos de la gestion de certains départements comme la justice et l’éducation ? Les militants limitent leur portée et résument cela à une guerre médiatique. «C’est une stratégie sensationnaliste pour vendre. Prenez le ministère de l’éducation. Qui a parlé des réalisations: la réhabilitation de la philosophie, l’introduction de nouvelles matières...? Par contre, les journaux se sont concentrés sur les faits et gestes du ministre», estime Abderrahman Amrani.

Sans amoindrir l’impact négatif qu’aurait pu avoir la presse indépendante sur l’USFP, Mohamed Sassi, le secrétaire adjoint du PSU (Parti socialiste unifié) et ancien membre de l’USFP, remarque que «c’est le prix de la démocratie. La presse a insisté sur l’USFP parce que c’est la force politique centrale. En contrepartie, l’USFP ne s’est pas comportée intelligemment. Au lieu de relever le niveau du débat, elle a mené une véritable guerre par articles interposés».

Selon plusieurs observateurs, toutefois, l’image du parti ne serait pas écornée seulement à cause des médias puisque les électeurs en auraient désormais une image différente. Ils perçoivent les candidats de l’USFP comme embourgeoisés et arrogants. «Il n’y a pas que le ministre et le parlementaire à l’USFP, il faut corriger cette image en misant sur la proximité», estime Aïcha Belarbi, membre du bureau politique du parti. Tous les militants s’accordent à le dire, il faut donner plus de pouvoirs aux instances régionales et locales et travailler davantage avec les associations locales. «Il n’y a qu’à voir le nombre de présidents de communes qui ont gagné aux élections», confie ce responsable du bureau politique.

Cela étant, certains proposent des solutions plus radicales, la refondation du parti par exemple : Nasr Hajji, ex-ministre des télécoms, appelle au rassemblement de toute la gauche au sein d’un même parti. Tous réunis, les partis de la gauche ont décroché tout de même 77 sièges. Mohamed Sassi doute de la faisabilité de la chose : «C’est une excellente idée, sauf qu’elle ne sert pas les intérêts des dirigeants de ces partis qui tiennent tous à garder leurs positions. Si M. Elyazghi le voulait, il aurait accepté les courants au sein de l’USFP».

Oui à une participation au gouvernement mais sous conditions
Plus modéré, Soufiane Khairat appelle à un renouvellement au sein du parti : «Je ne parle pas uniquement des dirigeants, mais aussi des structures, désormais inefficaces. Il faut plus de démocratie interne, et plus de pouvoirs pour le conseil national et les instances régionales». Même son de cloche chez Hassan Tariq qui estime qu’il faut donner l’opportunité à de nouvelles figures, et surtout ne pas proposer aux ministères les profils qui ont perdu aux élections.

D’autres voix demandent à ce que le parti aille dans l’opposition. Lahbib Cherkaoui, un militant de longue date, a été le premier à l’exiger. Il estime qu’il faut «rejoindre l’opposition et provoquer un grand débat au sein du parti en convoquant tous les camarades qui ont gelé leurs activités pour préparer sérieusement l’échéance de 2009 et reconquérir les grandes villes - Rabat, Casablanca, Marrakech, Fès, Tanger, Tétouan, etc.». L’économiste Larabi Jaïdi, membre du secrétariat national du parti, pose la question de savoir «comment l’USFP peut-elle renforcer le processus démocratique du pays ? En rejoignant le gouvernement ou en intégrant l’opposition ?». Avant d’émettre une idée : «A l’opposition, l’USFP ne va-t-elle pas réunir de meilleures conditions pour que l’opinion publique croit en la crédibilité de la démocratie et en la possibilité de régénérer des relais : les syndicats, l’implication de la jeunesse dans la politique, le rôle des instances locales ? »

Bien que l’option de l’opposition présente l’avantage d’être plus en cohérence avec la dégringolade de l’USFP et les résultats des autres formations politiques, elle peut cependant se révéler désavantageuse pour le parti de la rose. En attendant, même les partisans de la participation posent leurs conditions. «Nous estimons avoir un droit de regard sur la composition du futur gouvernement», assure Mohamed Marghadi, membre du secrétariat national. «Nous ne participerons pas au gouvernement s’il n’y a pas de solidarité, nous en avons fait l’expérience en endossant seuls le bilan du gouvernement, alors que d’autres se sont concentrés sur les réalisations individuelles», assure-t-il. Jeudi soir, alors que ces lignes étaient écrites, le conseil national devait trancher.... Probablement pour une participation au gouvernement, sous conditions.

Zakaria Choukrallah

Fraudes électorales : désaccord sur l’étendue du phénomène

Publié dans La Vie Eco du 21/09/2007

http://www.lavieeco.com/Politique/fraudes-electorales-desaccord-sur-letendue-du-phenomene

Des plaintes continuent d’être déposées auprès du Conseil constitutionnel.
Le collectif associatif estime que le phénomène a été fréquent. Le CCDH atténue son ampleur
Certains partis accusent l’Etat d’avoir été trop neutre.


Si de l’aveu des formations politiques, des observateurs et de la presse étrangère les élections ont été honnêtes et transparentes côté administration, il n’en n’a pas été de même côté candidats. Depuis l’annonce des résultats, plusieurs parmi ces derniers, et pas seulement les recalés, ont dénoncé des irrégularités, dont l’utilisation d’argent, laissant présager un déferlement de plaintes auprès du Conseil constitutionnel. Les partis politiques sont en train de réunir le maximum de preuves en vue d’appuyer leur dossier : le PPS assure qu’il a déjà déposé trois plaintes et que quatre autres sont «dans le pipe», le Mouvement populaire en annonce trois, qu’il n’a pas encore déposées officiellement...

Concernant la nature des fraudes, et comme l’on pouvait s’y attendre, la corruption détient la part du lion. Toutefois, l’on relève aussi des cas de manipulation des cartes électorales ou des bulletins de vote, des irrégularités dans les procès-verbaux des bureaux de vote et même des cas de violence physique ou de menaces pour empêcher les citoyens d’aller voter.

Ici et là, on assiste à une pluie de contestations. Dans la circonscription de Taounate Tissa, par exemple, 14 candidats dénoncent des irrégularités et accusent les autorités locales de cautionner les agissements de candidats corrompus. Idem à Témara, où Nabil Benabdellah, actuel ministre de la communication, porte-parole du gouvernement et candidat malheureux aux élections, a été victime, ainsi que son équipe, de jets de pierre lors d’une réunion précédant le jour du scrutin. A Ben Ahmed dans la province de Settat, 13 candidats têtes de liste ont manifesté devant le siège local du CCDH. A Nador, ce sont également 14 têtes de liste qui contestent les résultats.

Champion toutes catégories de la contestation : le PJD. Aussitôt les résultats annoncés, la formation de Saâd-Dine Elotmani était montée au créneau pour dénoncer les manipulations. «Nous sommes en mesure de prouver que 10 sièges de plus nous reviennent de droit. Et cela, sans compter les circonscriptions où il s’en fallait de peu pour que le second de la liste passe. Je pense que nous aurions facilement pu obtenir 70 sièges, s’il n’y avait pas eu utilisation massive d’argent !», martèle Lahcen Daoudi, porte-parole du parti. Exagération ? L’avenir le dira.

Une autre manière d’utiliser l’argent
Même son de cloche, à un détail près, chez cet élu de Berrechid qui estime que ces cas de fraude remettent en cause le classement, mais pas les résultats des élections. «J’aurais pu me classer premier, mais un candidat adverse a bien retenu la leçon car il s’était classé deuxième la dernière fois. Cette année, il a distribué suffisamment d’argent pour s’assurer la première place». Et de préciser que l’argent a joué un plus grand rôle lors des législatives 2007 que dans celles de 1997 et de 2002.

L’Organisation marocaine des droits humains (OMDH) n’est pas du même avis. Dans son rapport, cette dernière souligne que «la stratégie de l’utilisation d’argent par certains candidats s’est avérée contreproductive, au moins deux des candidats perdants en sont la preuve» (circonscription Aïn Sebaâ-Hay Mohammadi). En effet, selon la directrice du programme de l’observation des élections de l’OMDH, Amina Bouayache, «beaucoup de personnes qui ont reçu de l’argent ne sont finalement pas allées voter. Les gens ont maintenant une conscience politique, cela explique aussi en partie le faible taux de participation aux élections». D’un autre côté, l’OMDH révèle que, pour les élections 2007, l’argent n’a pas été utilisé de manière directe. Les candidats véreux ont eu plutôt recours à des intermédiaires allant à la rencontre des gens dans les lieux fréquentés : épiceries, téléboutiques, etc. Les promesses qu’ils font miroiter aux électeurs ? De l’argent liquide ou des services : financer un mariage, une circoncision, etc.

Pour sa part, le collectif associatif pour l’observation des élections, qui a mobilisé 3 210 observateurs, a distingué dans son rapport préliminaire trois catégories de fraudes observées : celles survenues pendant la pré-campagne (festins, financement de fêtes, services rendus aux citoyens, inaugurations de projets locaux), celles pendant la campagne électorale (usage d’argent, insultes, violences physiques, promesses à des fins électorales, exploitation de biens publics) et, enfin, les manœuvres le jour du scrutin. Le Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH), qui a piloté l’opération d’observation, a pour sa part publié un rapport préliminaire moins alarmiste.

Tout en indiquant que «les élections se sont déroulées dans des conditions normales d’honnêteté, de transparence et de neutralité de la part de l’administration», le conseil affirme n’avoir relevé que des cas limités d’irrégularités en dehors des bureaux de vote, notamment l’utilisation d’argent et la poursuite de la campagne le jour même du scrutin.

Excès de zèle chez certains fonctionnaires
Pour M’hammed Grine, candidat malheureux du PPS, l’argent n’a pas été le nerf de la guerre, cette fois-ci. «Ce qui a le plus joué, explique-t-il, c’est le faible taux de participation». Il appelle ainsi à une réforme du système d’octroi des cartes d’électeurs. «Le grand chantier à ouvrir, c’est celui des listes électorales. Il faut prendre le fichier des cartes nationales et inscrire systématiquement les citoyens dans leur circonscription de naissance», assure-t-il. Le rapport de l’OMDH soulève lui aussi que si 75% des cartes d’électeurs ont été retirées, les électeurs n’ayant pas pu le faire ont eu des difficultés à identifier le bureau de vote.

Mis à part le zèle de certains fonctionnaires, comme les moqaddems, qui ont cru bon de distribuer des cartes d’électeurs à domicile - ce qu’ils n’ont pas le droit de faire -, l’Etat a observé une position de neutralité durant tout le processus. Un peu trop neutre, au goût de certains candidats. Ainsi, ce député USFP parle, lui, de «neutralité négative». «Le jour du scrutin, explique-t-il, les sous-fifres de mon concurrent se sont postés devant les bureaux de vote. Ils ont même utilisé des cartes que les électeurs n’avaient pas retirées pour les remettre aux personnes à leur solde».

Rappelons que la loi (voir encadré) donne aux partis un délai de 15 jours à partir de la date de la proclamation du résultat pour déposer leurs recours. Et ce sera au Conseil constitutionnel de dire s’il y a eu ou non fraude et de décider de l’annulation ou non du siège concerné.

Face à ces protestations, le ministère de l’intérieur n’a pour le moment pas pris position.

Zakaria Choukrallah

Mohamed Sassi, le candidat «ould l’houma»


Publié dans La Vie Eco du 31/08/2007

(Lien: http://www.lavieeco.com/Politique/mohamed-sassi-le-candidat-ould-lhouma)

Le numéro deux du PSU mène la bataille dans la «circonscription de la mort» : Rabat-Océan.
Des poids lourds pour adversaires, un budget très serré, Sassi joue sur son appartenance au quartier.


Dimanche 26 août, 11h. Branle-bas de combat au siège du PSU (Parti socialiste unifié) à Rabat. Remporter la «circonscription de la mort» (Rabat-Océan) ne va pas être facile pour le candidat Mohamed Sassi : en face de lui se trouvent des candidats rodés au processus électoral. Cela étant, Najib Akesbi, n°2 de la liste, tempère : «Je suis confiant. Le PJD que nous redoutions a choisi un candidat autre que celui plébiscité par sa base, l’USFP a procédé à un changement de candidat à la dernière minute et l’image du MP est brouillée. Je pense que nous aurons au moins assez de voix pour faire passer la tête de liste.»

Dans l’appartement qui fait office de QG de campagne, les militants sont fébriles. Ce deuxième jour est déterminant car la campagne ne comprend que deux week-ends où les partis peuvent toucher le maximum de citoyens. De plus, une équipe de télévision est attendue aujourd’hui. Sur le terrain, le programme de la journée se résume à une seule action : distribuer des tracts. Une première équipe va se diriger vers un souk et fera les cafés et les grandes surfaces, tandis qu’une deuxième organisera une marche sur les grands boulevards du quartier Agdal. «Lors de cette première phase, notre objectif est de faire circuler l’information. Il faut que, dans les deux jours qui viennent, notre liste soit connue de tous», explique M. Sassi. Le reste de la campagne sera consacré au porte-à-porte, en petits comités. Pour y arriver, l’équipe s’est scindée en trois groupes. Le premier opère à Yacoub El Mansour, où se concentrent les deux tiers de la population votante, le second à Rabat-Agdal et le dernier au quartier l’Océan.

13 heures. L’équipe de télévision est enfin là. M. Sassi adresse ses directives aux militants, non sans encouragements : «Nous progressons vers la victoire. Mais soyez très prudents. Si vous croisez d’autres candidats, cédez-leur la place. Soyez courtois envers les citoyens, n’insistez pas si quelqu’un déchire les tracts ou vous insulte. Gardez votre sang-froid, quoi qu’il arrive».

Les jeunes désabusés et agressifs
Après cette mise au point, direction Souk Laghzel, le très fréquenté marché aux puces de la capitale, dans le quartier Yacoub Al Mansour. Postés à l’entrée du souk, les militants distribuent les tracts et engagent parfois la discussion avec les citoyens. «Votez pour nous. Vous connaissez Mohamed Sassi ? Il est du quartier, c’est un oueld douar, comme nous tous», tentent de convaincre les militants. Ici, Sassi joue la carte de la notoriété locale, même s’il martèle que sa campagne n’est pas personnalisée. «Il est vrai que dans les quartiers les plus populaires, nous sommes obligés d’avoir recours à ce type d’arguments, mais jamais aux dépens de notre programme. Si je peux faire passer les idéaux de notre parti grâce à ma popularité, c’est tant mieux», avoue-t-il. D’autant plus que Yacoub El Mansour est le quartier natal de Mohamed Sassi, où il jouit d’une côte de popularité certaine.

La réceptivité des citoyens varie selon leur âge et le quartier où ils habitent. De l’aveu des militants, les habitants de l’Agdal, de Hay Ryad et des quartiers moyens sont réceptifs, tandis que ceux des quartiers pauvres et les jeunes le sont beaucoup moins. Si la pauvreté et le faible niveau d’instruction expliquent la réaction des habitants des quartiers populaires, qu’en est-il des jeunes ? «Ils ont des préjugés sur tous les partis politiques parce qu’ils ont une mauvaise image de l’homme politique marocain. Ont-ils tort ? J’ai bien peur que non. Les jeunes sont désabusés à cause de l’opportunisme, des promesses en l’air (éradication du chômage, par exemple), du clientélisme, etc.», analyse M. Sassi. Et, parfois, ils deviennent même agressifs, comme le confie un militant : «Hier, c’était le premier jour de campagne, des jeunes m’ont insulté et jeté les tracts à la figure».

Un budget de 200 000 DH !
Le reste de la population se partage entre sceptiques (très nombreux) et personnes acquises à la cause du PSU - peu nombreuses. Dans le lot, un certain nombre sont des déçus de l’USFP ; si cela peut jouer en sa faveur, cela peut parfois être un handicap. Pour preuve, le témoignage de ce militant qui assure s’être fait rabrouer par un citoyen à la vue du mot «socialiste» sur le tract !

15 heures. Les militants font une pause déjeuner. «Ils se prennent totalement en charge. Nous ne les payons pas 100 ou 200 dirhams comme le font certains partis. C’est contraire à nos principes», assure Fatim-Zahra Chafiîi, responsable du budget. Une question de principe, donc, mais également de moyens. Le compte bancaire destiné à financer la campagne contient à peine 108 844,75 DH. On table sur quelques promesses de dons pour atteindre 200 000 DH mais c’est tout. Un budget très faible qui pénalise énormément la campagne de M. Sassi, selon les dires de sa trésorière. Pour boucler le financement, tous les moyens sont bons : le candidat aurait même proposé de vendre sa voiture. Mais, en attendant, il faudra se serrer la ceinture: les tracts sont distribués avec parcimonie, les militants ont acheté des téléphones portables à 75 DH et profitent d’une offre de gratuité des communications. On leur propose même de payer le tee-shirt portant le logo du parti qu’ils utilisent pour la campagne.

17 heures. L’équipe se retrouve au QG du parti. Avec leurs tracts, les militants se dirigent vers les grandes surfaces. M. Sassi a prévu de rencontrer quelques sympathisants qui jouissent de la confiance de leurs voisins et qui pourraient les convaincre. Ses arguments pour les séduire ? Sa réputation avant tout. En chemin, il s’arrête pour s’enquérir du travail des militants et s’entretenir avec les citoyens qui ont demandé à le rencontrer.

21h10. Tout le monde se retrouve au siège du parti pour la séance de débriefing. Au menu, un récapitulatif des activités menées la journée et quelques propositions pour rendre la campagne plus efficace. Le lendemain sera consacré encore une fois à la distribution des tracts, puis viendra l’étape du porte-à-porte. C’est encore la phase tranquille de la campagne, nous dit-on au QG. A compter du 27 août, les actions vont s’intensifier.

Zakaria Choukrallah

Lien article publié dans "El Ennasim" (réalisé en Egypte)

www.cfpj.com/cfj/prod/mag/El-Nessim/El-Nessim-15-aux-coeurs-du-souk.pdf

"Les Palestiniens sont passés de victimes à coupables"

(Interview de René Backmann, rédacteur en chef au Nouvel Observateur)
L'Economiste du 13/03/2007

René Backmann a animé une conférence à l’Institut supérieur d’information et de communication (ISIC, Rabat) où il a présenté son livre «Un Mur en Palestine». Son enquête démontre que le mur de séparation entre Israël et les territoires palestiniens est plus un barrage contre la paix qu’un moyen de protection antiterroriste.

· L’Economiste: «Il est là, à 5 mètres de la boutique. Gris, massif, plus invulnérable qu’un char d’assaut, deux fois plus haut que le défunt mur de Berlin (…) il coupe la route de Jéricho (…) se glisse entre les immeubles résidentiels (…) escalade les collines, tranche le paysage (…)». C’est la description que vous faites du mur dans votre livre. Que cache ce mur? A quoi sert-il réellement?

- René Backmann: Il sert, pour les Israéliens, à tracer une nouvelle frontière entre eux et le territoire de l’Etat de Palestine, si celui-ci existe un jour. Une nouvelle frontière qui rend cet Etat de plus en plus petit et de moins en moins viable. Il leur sert aussi à affirmer une volonté de faire des choix unilatéraux, de proclamer par des gestes et non par des mots, que négocier n’a plus de sens.
S’il avait été bâti en territoire israélien et le long de la vraie frontière, il mesurerait, comme cette vraie frontière environ 325 km (longueur de la Ligne d’armistice de 1949, appelée Ligne verte). En fait, une fois fini, il mesurera plus de 650 m. Il dessine à l’intérieur de la Cisjordanie de très amples et profonds méandres, pour contourner et annexer de fait à Israël la majorité des colons de Cisjordanie.

· Les critiques fusent sur ce mur. Quels dangers représente-t-il pour la paix?

- Il constitue, à mes yeux, un danger majeur. Un obstacle de taille pour la paix. D’abord, parce ce qu’il complique encore des discussions éventuelles. Ensuite, parce qu’il génère, chez les Palestiniens, des injustices, des frustrations, des révoltes génératrices de violence. Et enfin, parce qu’il complète et parachève la colonisation de la Cisjordanie, entreprise depuis 1967 par les Palestiniens. Par dessus tout, parce que, quand on veut négocier, on doit se voir, se rencontrer, se parler. Or, à travers un mur, rien de tout cela n’est possible.

· Vous estimez que le mur n’a eu qu’un moindre impact sur la sécurité des Israéliens. Comment cela?

- La construction de la première partie du mur a coïncidé, grosso modo, avec la trêve des attentats décidée par toutes les organisations -islamistes armés comprises- après l’élection de Mahmoud Abbas. Il est donc difficile de dire si les attentats n’ont pas eu lieu grâce au mur ou grâce à la trêve. Par ailleurs, depuis que le mur et la barrière existent (car il y a parfois barrière, parfois mur), aucun terroriste n’a été arrêté sur le mur, selon les statistiques israéliennes.

· Dans votre livre, vous parlez de «camouflage sémantique» des deux parts. Pouvez-vous nous donner des exemples?

- Je parle de «camouflage sémantique» à propos de «l’administration civile» israélienne. Car cette dénomination cache en fait la branche de l’armée chargée d’administrer les territoires occupés. C’est donc une administration qui, malgré son nom, n’a rien de civil.

· Comment interprétez-vous l’inaction de la communauté internationale? Et pis, celle des Etats arabes?

- Elle révèle la solitude, l’abandon, dans lesquels se trouvent les Palestiniens. En fait, malgré la rhétorique habituelle du monde arabe sur les «frères» palestiniens, ils ne sont pas mieux traités par les Occidentaux que par leurs «frères». Cela dit, l’Europe, même si elle est loin d’être irréprochable dans ses choix et son inaction, est le principal bailleur de fonds de l’Autorité palestinienne.
Cette passivité générale s’explique de mille façons. L’une des raisons, à mon sens, tient à l’attaque du 11 septembre: tout à coup, aux yeux des Américains, les Palestiniens ont cessé d’être des gens combattants pour leurs droits pour devenir des terroristes acharnés contre un ami de l’Amérique. Sharon a très habilement joué de ça en affirmant que Yasser Arafat était la version locale de Ben Laden et qu’Israël participait à sa façon à la guerre contre le terrorisme. Il faut admettre qu’en passant de la guerre des pierres à la deuxième Intifada, avec l’usage des armes et les attentats suicides, les Palestiniens ont changé d’image aux yeux de l’opinion internationale. De victimes, ils sont devenus coupables. Coupables d’actes de terrorisme. Ce qui a encore augmenté leur isolement et leur vulnérabilité.

· Comment a été réalisée l’enquête?

- Je me suis efforcé de rencontrer, des deux côtés du mur, chez les Israéliens comme chez les Palestiniens, tous les protagonistes de ce dossier. Côté israélien: ceux qui l’ont décidé, conçu, construit, protégé. Mais également, les personnes qui s’y sont opposés et celles qui en bénéficient. Côté palestinien : ceux qui en souffrent, dont la vie a été bouleversé, et finalement les Palestiniens qui se sont battus contre le mur, sur le terrain ou devant les tribunaux.
A côté de cela, je me suis efforcé de me procurer tous les documents déjà écrits sur le mur: livres, dossiers, articles. J’ai consulté les sites web des deux côtés, comme du côté des Nations unies, qui éditent des cartes de très bonne qualité. Et ensuite, j’ai croisé tout cela avec mes informations glanées sur le terrain pour accumuler des éléments solides, aussi rigoureux et incontestables que possible.


Parcours

René Backmann est rédacteur en chef au Nouvel Observateur où il s’occupe du service étranger. Cela fait 25 ans qu’il couvre l’actualité du Proche-Orient. Il est diplômé du Centre de formation des journalistes de Paris (CFJ, 1964). Engagé, il a beaucoup écrit sur la répression qui touche les milieux de gauche et de l’évolution des forces de police. Il a publié un recueil d’articles sur ce sujet: «Les Polices de la Nouvelle Société» (F. Maspero, 1971).
Il commence à traiter du conflit israélo-arabe à partir de février 1983. En outre, il est l’ami personnel d’Elias Sembar.
René Backmann a reçu le prix de la Fondation Mumm (1991) pour son enquête sur «L’islam et les financiers de l’intégrisme». Il est le coauteur des médias et l’humanitaire (CFPJ éd. 1996). Le livre qu’il a présenté au Maroc, «Un mur en Palestine», est une enquête sur le mur et les barrières érigés par Israël en Cisjordanie.

Propos recueillis par
Zakaria CHOUKRALLAH