3.3.07

Théâtre des Roches-Noires: Quel spectacle!
L'Economiste du 28/02/2007

· Un show annulé au bout de plusieurs jours de préparation

· Loupés dans la sono, l’alimentation électrique…


· Une véritable débâcle aux frais du contribuable


Dimanche 11 février, Théâtre Mohammed VI, Les Roches-Noires à Casa, en milieu de matinée. Une soixantaine de jeunes artistes sont sous le choc. On vient de leur annoncer l’annulation du spectacle qu’ils préparaient depuis 12 jours.
L’émotion est palpable, un fonctionnaire se cherche un prétexte et ose la provocation. «Vous ne voulez pas travailler!», lance-t-il en sortant du théâtre. Il fuira finalement escorté par la police. Mahmoud, un styliste marocain, arrache des murs les listes des ordres de passage pour les répétitions. Le metteur en scène affirme que c’est la première fois dans sa longue carrière qu’il est obligé d’annuler un spectacle. Les Marocains se sentent tout petits. «C’est le genre de choses qui n’arrivent que chez nous», lancent-ils, dépités. Les raisons de l’annulation: une défaillance dans le système électrique. En début de journée, Damien, ingénieur lumière, a été électrocuté, sans graves séquelles heureusement.

· Pas de plans


Il est presque 14 heures, moment de la dernière répétition générale précédant la présentation de 20h30. L’équipe a déjà cumulé beaucoup de retard, depuis son arrivée à Casa quatre jours auparavant. Le matériel adéquat n’arrive toujours pas. Jean-Michel Frère, le metteur en scène, s’impatiente: «Même si le problème technique est réglé, pensez-vous qu’artistiquement c’est faisable?», s’adresse-t-il à la troupe. «Généralement, c’est la technique qui s’accommode à l’artistique; là, c’est le contraire», lance Momo Merhari, de l’association L’EAC L’Boulevard, coorganisateur partenaire de «Naïda». Il fait référence au problème de sonorisation qui n’avait toujours pas été réglé. Autre exemple: le metteur en scène avait demandé les plans de la salle pour élaborer la scénographie; le théâtre n’en disposait pas.
Le directeur du théâtre, Hicham Abkari, s’en défend: «C’est à l’organisateur de procéder au “repérage”: au moyen d’un rayon laser, ils prennent les mesures pour élaborer un croquis qui servira pour la scénographie». Rappelons que ce théâtre a coûté la bagatelle de 65 millions de dirhams et qu’il aura fallu 15 ans pour le construire, à cause des multiples arrêts de chantier dus à la mauvaise gestion du dossier par l’ex-président de la Commune, Abdelmoughit Slimani.
Qui est le responsable de la débâcle? Tout le monde se rejette la responsabilité. Hicham Abkari estime que sa salle répond aux normes techniques. «Des bureaux d’études l’ont attesté», renchérit-il. Selon lui, si problème il y a, il provient du matériel loué. Décryptez: du prestataire de service auquel on a confié le marché.
Ce dernier se défend d’être tenu pour responsable: «ils veulent un bouc émissaire; le plus facile est de tout coller sur la société privée», confie un responsable sur les lieux. C’est le ministère marocain de la Culture qui a procédé au choix du prestataire de service. «Une commission a choisi la société, sur la base de la fiche technique fournie par le Bureau international de la jeunesse -BIJ, partenaire belge. Notre critère était la recherche du meilleur rapport qualité/prix. On s’est adressé à des professionnels qui ont fait leurs preuves», déclare Amal Saïd, responsable du ministère de la Culture. Pourtant, selon nos sources, des sociétés plus qualifiées ont été proposées, mais le ministère a préféré s’en tenir à son choix.

· Déception


Du côté du BIJ, la déception est manifeste. La directrice, Laurence Hermand, tente d’obtenir une décharge du ministère attestant qu’il n’y a aucun risque d’électrocution, mais personne apparemment n’est prêt à prendre ce risque. Elle positive quand même: «L’important, c’est la rencontre. Le spectacle n’est que la cerise sur le gâteau». Ce qui ne l’empêche pas de fondre en larmes sous le coup de l’émotion.
Durant le débriefing de la soirée, Mounia Nejjar, directrice du Livre au ministère de la Culture, apporte une lueur d’espoir: «Je vous fais la promesse solennelle que le spectacle aura lieu, d’abord en Belgique en juillet 2007, puis au Maroc, en septembre de la même année, au Théâtre Mohammed-V à Rabat». En attendant, c’est l’argent du contribuable qui n’a servi à rien. Le ministère de la Culture a pris en charge la totalité des frais (hébergement, matériel, nourriture, etc.) de 60 artistes, excepté les billets d’avion. Un responsable du ministère a même osé déclarer: «On a tout l’avenir devant nous pour faire le spectacle». Sans commentaire.


Ce que vous avez raté


Naïda, c’est une soixantaine d’artistes: des danseurs, chanteurs, musiciens, circassiens stylistes et vidéastes de différents pays. Ils viennent du Maroc, de Belgique, mais aussi d’Algérie et de Tunisie. Leur objectif: créer en douze jours un spectacle pluridisciplinaire sur le thème «entre tradition et modernité», encadrés par Jean-Michel Frère, metteur en scène belge. Un projet coorganisé par le ministère marocain de la Culture, par le Bureau international de la jeunesse (de Wallonie-Bruxelles) et l’association l’EAC l’Boulevard. Il est organisé en parallèle avec le Salon international de l’édition et du livre (Siel), dont la Belgique est l’hôte d’honneur cette année. Du 1er au 12 février, les jeunes artistes ont créé un spectacle inédit en 14 tableaux qui devait être présenté le 11 février au Théâtre Mohammed VI (voir article). De l’aveu des organisateurs et des journalistes qui ont assisté à la première grande présentation au centre aéré Moulay-Rachid, où se préparait le spectacle, le résultat allait être prometteur. Et pour cause : une équipe soudée, des idée fraîches et une bonne volonté manifeste. Mais le sort on en a voulu autrement.

Zakaria CHOUKRALLAH


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