14.5.06

Les oubliés d’Alzheimer
(Article publié dans TelQuel n°224)
Première cause de démence au Maroc, la maladie de l'oubli touche 20 000 personnes. Dans quatre ans, ils seront 50 000. A part une jeune association à Rabat, personne n’accompagne les malades.
“Chref ou kherref”, littéralement : “il a vieilli et son cerveau s'est ramolli”. C'est ce que l'on entend dire quand une personne âgée est sujette à des oublis. S'il est normal que la vieillesse s'accompagne d'une diminution des facultés mentales, l’Alzheimer n'est jamais trop loin. Au Maroc, ils sont 20 000 à en souffrir et la majorité n'en est même pas consciente. Selon le professeur Mustapha El Alaoui Faris, neurologue à l'hôpital des spécialités de Rabat, le risque va crescendo avec l'âge : 5% des plus de 65 ans, 10% des plus de 75 ans et jusqu'à 20% des plus de 90 ans sont touchés par la maladie. D'après les projections démographiques, d'ici 2010, il y aura 50 000 cas d'Alzheimer au Maroc. Le chiffre pourrait même grossir, le royaume cumulant d'autres facteurs à risques comme l'hypertension artérielle, le diabète ou le cholestérol. “En plus, ces maladies sont chez nous mal prises en charge”, ajoute le médecin.Le plus alarmant, c'est que les Marocains admettent cette “fatalité” en la mettant sur le compte de l'âge. Résultat : “ils arrivent chez le médecin à un stade avancé de la maladie, une fois que le patient 'dérange' son entourage”, s'indigne le professeur. Or, si la maladie est diagnostiquée au début, on peut administrer au malade un médicament qui retarde la démence. Reste que le traitement coûte cher (1200 DH/mois) mais fait quand même gagner du temps sur la souffrance, même si, au fond, la maladie finit par emporter le patient, avec ou sans médicament, au bout d'une dizaine d'années.
Une maladie déroutante
“On est frustré et on regrette de ne pas avoir reconnu la maladie au début”, affirme, dépitée, Karima, dont la mère est malade depuis 1996. Ce n'est qu'en 2001, à la suite d'une crise d'épilepsie, qu'elle a mis un nom sur le mal qui ronge sa mère. Maintenant, elle ne souhaite qu'une chose : que les gens soient informés sur la maladie pour ne pas perdre de temps, d'autant plus que le médicament n'est efficace que dans les premiers stades de la démence. Les médecins en distinguent trois stades. Les premiers indices sont les troubles de la mémoire. Le malade commence par oublier fréquemment où il a mis ses effets personnels : clefs, montre, lunettes, etc., puis des événements qui se sont produits récemment. Si vous présentez ces symptômes, ne vous en alarmez pas pour autant, les troubles de la mémoire ne sont pas forcément synonymes d'un début de maladie d'Alzheimer. “Il convient de distinguer la simple “plainte mnésique” (oublis bénins) qui peut avoir pour origine le stress, le manque de concentration, ou une dépression, et l'atteinte organique de la mémoire, comme c'est le cas dans la maladie d'Alzheimer”, explique le professeur Faris. Si les moins de 60 ans sont rarement atteints par cette maladie, les plus vieux traînent avant d'aller chez un médecin. Or, pour dépister la maladie, il suffit d'effectuer un test “neuropsychologique”, que même un généraliste maîtrise. C'est un questionnaire qui permet de savoir si l'origine des troubles est neurologique - donc si c'est un cas d'Alzheimer, ou pas. Les questions posées sont du genre : “comptez à partir de cent en retirant sept à chaque fois, épelez le mot 'monde' à l'envers, recopiez des phrases, des dessins, etc.”. Le problème c'est que ces tests ne sont disponibles qu'en partie en arabe et sont inutilisables pour les personnes analphabètes.Une dégradation rapide de l'état du maladeC'est à partir du second stade que les symptômes se précisent. Les troubles du langage apparaissent : le malade oublie alors des mots faciles, les remplace par d'autres rendant ses propos incompréhensibles, “au lieu de demander un verre d'eau, le patient montrera du doigt l'objet et dira :'c'est pour boire'”, donne à titre d'exemple le médecin. Puis il aura des difficultés à agencer les phonèmes dans un mot, il dira par exemple “cunette” à la place de “lunette”. Les oublis deviendront plus graves : le patient peut se perdre dans la rue, n'aura plus la notion de l'espace et du temps. Ses capacités de jugement seront, elles aussi, altérées, il aura du mal à résoudre des problèmes simples et pourra facilement se faire escroquer. Il est possible alors qu'il signe des chèques ou qu'il brade un objet en sa possession. Le problème devient plus d'ordre juridique que sanitaire. “Le seul recours alors, c'est de demander au tribunal de désigner un tuteur auquel seront confiés les biens de la personne”, affirme Me Abderrahim Ben Barka, avocat à Rabat. Mais qu'en est-il si l'acte est antérieur à la décision du tribunal ? “Reste à demander son annulation en prouvant que l'intéressé n'était pas en pleine possession de ses moyens. Si on arrive à démontrer que la maladie affecte le jugement de la personne, cela devrait suffire”, ajoute Me Ben Barka. “L'acte sera alors nul et non avenu”, confirme Ahmed Hidass, professeur de droit. Le dernier stade de la maladie est le plus difficile : les lésions au cerveau affectent la motricité du malade qui a de plus en plus de mal à se déplacer et à se nourrir. Il finit par être confiné au lit et devient incontinent. De nouveaux problèmes apparaissent avec, à leur tête, la nécessité de mettre des couches au malade. Un rapide tour dans les boutiques qui vendent ces articles, à Bab el Had, à Rabat, nous renseigne sur la difficulté de s'en procurer. Les paquets sont rares, et pour cause, ils sont tous importés. Leur prix varie entre 120 et 150 DH le paquet de vingt, ce qui peut s'avérer cher à la longue pour les petits revenus.
L'Alzheimer n'oublie pas l'entourage
Le drame de la maladie d'Alzheimer, c'est la souffrance qu'elle occasionne dans l'entourage. “Les rôles sont inversés, vous devenez le maternant de votre parent, avec tout ce que cela entraîne comme culpabilité”, affirme Faris El Alaoui. Cette situation est déroutante pour l'aidant qui est parfois contraint d'être autoritaire. “Dans le second stade de la maladie, ma mère refusait de se nourrir, il fallait alors toute la patience du monde pour la faire manger. Si on ne le faisait pas, elle risquait de mourir de faim”, lance Karima, les larmes aux yeux. “On s'est rendu compte que 'l'aidant' fait facilement des dépressions et développe parfois de véritables maladies”, explique le praticien. Pour l'aider à supporter la charge, il faut que les familles s'organisent pour lui permettre de souffler de temps en temps. La jeune association Maroc Alzheimer (créée en février 2006) organise des séances où les “aidants” se réunissent pour parler de leur expérience autour de psychiatres et de neurologues. Le professeur El Alaoui Faris, président de l'association, explique l'intérêt de ces séances : “Cela fait du bien aux gens de savoir qu'il y a d'autres familles dans la même situation. De plus, les médecins sont là pour répondre à leurs questions et leur montrer comment prendre soin du malade”. Maroc Alzheimer a publié un “guide de l'aidant” disponible au service de neuropsychologie de l'Hôpital des spécialités de Rabat et prévoit une prochaine réunion en mai. “J'ai raté la réunion la première fois, cette fois-ci, je veux absolument y participer”, s'enthousiasme Karima, qui veut à tout prix faire connaître la maladie : “Récemment, un vieil homme de notre quartier a demandé à un voisin de le reconduire chez lui. C'est peut-être un cas d'Alzheimer, j'hésite à en parler avec sa famille”.
Que faire face à un malade ?____________________
Il ne faut surtout pas perdre de vue qu'un malade atteint d'Alzheimer a surtout besoin d'affection. Gardez en tête qu'il conserve toujours ses sentiments mais qu'il a simplement du mal à les communiquer. Pour discuter avec lui, il faut se tenir devant lui et attirer son attention. Parlez lentement et clairement en utilisant des phrases courtes et en délivrant un seul message à la fois. C'est aussi important de le rassurer à la fin de la discussion en terminant sur une note gentille, comme par exemple : “C'est toujours agréable de parler avec vous”. Informez-vous au maximum sur la maladie en composant le numéro économique 082 00 20 30. Si un de vos proches est malade et que vous éprouvez le besoin de parler à des gens dans votre situation, contactez l'association Maroc Alzheimer au 037 77 31 24.
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Le dessin animé japonais expliqué par un de ses maîtres

(Article qui me tenait à coeur et dont L'Economiste ne voulait pas)

  • le cofondateur de la seule structure capable de concurrencer Disney explique le succès du Manga
  • Etudiants en art et professionnels étaient là pour comprendre l’engouement suscité par la bédé japonaise">

Meknès, «la Ouarzazate du cinéma d’animation » comme l’appelle un invité du FICAM (Festival Internationale du Cinéma d’animation de Meknès), consacre son édition 2006 au cinéma d’animation japonais, où tout simplement « animé » comme disent les puristes. Cette année, un invité de marque : le réalisateur Isao Takahata des studios Ghibli, seule structure au monde qui peut se targuer de concurrencer Disney. Takahata a tenu une conférence le Samedi 6 mai où il a expliqué les raisons historiques de la « déferlante Manga » (bédé japonaise).
Quand le maître commence son exposé, la salle remplie aux trois quarts observe un silence religieux. Etudiants en art et professionnels de l’animation sont là pour comprendre l’engouement que suscitent la bédé et les dessins animés nippons. Isao Takahata, qui parle en japonais, est traduit par Ilan Nguyên, un traducteur et un fin connaisseur du sujet. « C’est après la seconde guerre mondiale que la production de bande dessinée explose », lance d’emblée Takahata. Le premier long métrage animé s’appelle « le serpent blanc », précise le réalisateur. Ce film est l’équivalent au Japon de « Blanche Neige ».

Au commencement étaient… des rouleaux
La production japonaise dans le domaine de la bédé et de l’animé est conséquente, elle est sans égal avec ce que l’on retrouve à l’étranger y compris au Maroc, assure le réalisateur. Ses thèmes sont très diversifiés ce qui explique qu’elle ne s’adresse pas uniquement aux enfants : « cela va de la bande dessiné expliquant la ‘théorie du capitale’ à de simples récits sur la vie de bureau », ajoute Takahata. Selon lui, le dessin a toujours fait partie de la culture nipponne. Les premiers récits imagés remontent au 12è siècle. A l’époque, les japonais se servaient de rouleaux de papier sur lesquels ils dessinaient. Le procédé est très cinématographique : au fur et à mesure que le rouleau s’étale, les dessins décomposent l’action à la manière d’un film photo. Sauf que le dessin une fois déroulé forme une vue d’ensemble. L’assistance a pu voir projeté un rouleau où des animaux anthropomorphes se livrent à des jeux de combat, mais aussi un rouleau qui montre un village tétanisé par la vue d’un énorme bol en or surgi de nulle part et qui transporte leur entrepôt de riz. Le trait simple, la coloration rapide et la grande liberté prise avec la réalité préfiguraient déjà le « manga » (littéralement dessin grotesque).

Un petit nez et de gros yeux !
La bédé nipponne doit aussi beaucoup à des artistes comme Hiroshige dont la manière singulière de dessiner la pluie a inspiré Vincent VanGogh, et dont les choix de perspective ont influencé Giotto. Au 18è siècle, les artistes japonais commencent à représenter les visages en très gros plan, cette technique est largement utilisée dans les mangas et s’appelle le « close up ». « Si vous faites attention, vous remarquerez que dans les mangas, on représente souvent les personnage de face avec un petit nez », explique le réalisateur en tenant l’affiche du festival sur laquelle il y a un dessin japonais. « Par contre, en occident on représente les personnages de face en accordant beaucoup d’importance au nez. Au Maroc aussi : cet organe joue un rôle important dans la représentation que vous avez du visage », poursuit Takahata. A ceux qui se demandent pourquoi les yeux des personnages de dessins animés japonais ont des yeux énormes alors que les japonais ont les yeux bridés, le réalisateur répond qu’en l’absence du nez, les yeux deviennent l’élément principal pour transmettre les sentiments des personnages. Ce soir là, Isao Takahata a transmis à tous ceux présents dans la salle le sentiment que les organisateurs ne se sont pas trompés en consacrant l’édition 2006 du FICAM au cinéma d’animation japonais, véritable raz-de-marée au Maroc et ailleurs.
Zakaria Choukrallah

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