17.10.07

Lendemains électoraux houleux pour le PJD

Publié dans La Vie Eco du 12/10/2007

http://www.lavieeco.com/Politique/lendemains-electoraux-houleux-pour-le-pjd

Un mois après les élections, il n’arrive toujours pas à digérer son résultat «mitigé».
Abdelilah Benkirane et Mustapha Khalfi accusent le parti de fuir ses responsabilités.
Image brouillée, couverture insuffisante du Rif, du sud et du monde rural, alliances contre-productives... les raisons abondent.


Ça bouillonne au PJD. Le parti islamiste n’arrive pas à digérer le fait de s’être fait distancer par l’Istiqlal alors qu’il avait prévu de prendre une confortable avance sur l’ensemble des formations politiques. Un mois après les élections du 7 septembre dernier, on cherche toujours à savoir le comment du pourquoi, à déterminer où se situent les responsabilités, à chercher des coupables. Les militants ont beau contester la position officielle du parti qui attribue son classement aux tripatouillages électoraux, ils restent divisés quant à ses causes véritables.

A la tête d’une fronde qui ne dit pas son nom, Abdelilah Benkirane, président du conseil national. Dans le quotidien Attajdid du 20 septembre dernier, il s’était livré à une critique sévère de la ligne politique du parti, l’accusant d’être responsable de son isolement politique. Récidivant dans les colonnes de l’hebdomadaire Al Watan Al An deux jours plus tard, il affirmait même que cette conduite avait empêché le PJD de participer au gouvernement de 2002 et même à celui de 1997. Parmi les autres explications possibles, Mustapha Ramid, membre du secrétariat général - et fraîchement élu à la tête du groupe parlementaire du parti - s’aligne sur la position officielle qui considère que le PJD a été victime de la corruption et de la neutralité négative de l’Administration. Une attitude peu en rapport avec le tempérament de l’homme turbulent du PJD ! Mais ce dernier prend soin de rappeler qu’il n’a jamais hésité à critiquer la gestion du secrétariat général, mais qu’il n’a pas de raisons de le faire à propos des législatives, même s’il reconnaît que le parti a commis quelques erreurs. Mustapha Khalfi, membre du Conseil national, lui emboîte le pas dans les colonnes de l’hebdomadaire Al Ayyam du 22 septembre, et propose, lui, une évaluation du nombre de sièges perdus et une analyse des raisons qui ont acculé le PJD à se retrouver dans l’opposition.
Même en tenant compte des prétendues fraudes,

les 70 sièges étaient un objectif trop élevé
Le PJD serait-il en train de vivre les prémices d’une scission ? « Absolument pas. Nous sommes plus forts que jamais», s’emporte Lahcen Daoudi, vice-secrétaire général. Un niet catégorique partagé par le politologue et spécialiste des mouvements islamistes, Mohamed Darif : «C’est normal qu’il y ait des divergences, l’essentiel, c’est qu’elles ne touchent pas aux constantes du parti. Abdelilah Benkirane essaye de redynamiser et de relancer le débat», explique-t-il.

Quelles sont les causes attribuées à la mauvaise performance du PJD ? Essentiellement un excès de confiance. A la veille des élections, les médias internationaux s’étaient intéressés presque exclusivement au parti, les sondages lui prévoyant une victoire éclatante. Prudent au départ, le PJD avait fini par y croire lui-même, attendant seulement d’entériner sa consécration en tant que «première force politique du Royaume avec au moins 70 sièges». Le réveil fut brutal, avec seulement 46 sièges, soit la deuxième place derrière le parti de l’Istiqlal (52 sièges). Un recul ? «Non, eu égard au système partisan, au mode de scrutin à la proportionnelle et au découpage électoral», tempère Mohamed Darif. Le PJD a quand même conforté sa position en passant de la troisième à la deuxième place et en gagnant même deux sièges par rapport à 2002.

Discours édulcoré, démissions, le PJD est un parti comme les autres
Malgré tout, les contestataires sont inconsolables. «Donner du crédit aux sondages et aux prévisions a certainement poussé des sympathisants à ne pas se rendre aux urnes le jour du vote, croyant la victoire assurée», regrette Mustapha Khalfi. Abdelaziz Rebbah, chef de la Jeunesse du parti, abonde dans le même sens : «Nous savions que l’argent allait être utilisé, que l’Administration n’était pas bien préparée mais, malgré cela, nous avons péché par excès de confiance. Il aurait fallu mobiliser toutes les sections du parti pour aider les citoyens à récupérer leurs cartes électorales. Et, surtout, il fallait couvrir tous les bureaux de vote», regrette-t-il. Autre grande erreur, selon Mustapha Khalfi : le parti a placé la barre trop haut en prédisant 70 sièges. «Les 70 sièges sont une estimation pré-électorale. Si on retirait de ce chiffre les 7 sièges de la liste locale et les 3 sièges de la liste nationale que nous avons perdus à cause des fraudes, le total est de 60 sièges, et même ce score, nous ne l’avons pas obtenu, pour des raisons inhérentes à la gestion de la campagne par le parti».

Qu’est-ce qui a joué alors ? En fait, le PJD a tout simplement été victime du mythe de l’icône. En se plaçant dans le jeu électoral en tant que parti comme les autres, il a perdu de son aura. Les accréditations à la députation ont même été à l’origine d’une série de démissions qui ont fait tomber le mythe du parti discipliné, de même que le «parachutage», dans de nouvelles circonscriptions, de membres dirigeants en perte de popularité dans leurs fiefs d’origine.

Dans d’autres cas, ce sont les alliances qui ont joué contre le parti. Ainsi en est-il, à Casa Anfa, de la défaite du président de Forces citoyennes (FC), Abderrahim Lahjouji, soutenu par le parti, face à Abdelbari Zemzmi, candidat du Parti de la renaissance et de la vertu (PRV). L’alliance avec FC, qui marquait un désir d’ouverture vers les autres partis et la volonté de rompre avec l’image d’un parti islamiste, s’est traduite par un discours plus lisse et consensuel qui, selon Mustapha Khalfi, a fait perdre des voix au PJD. Le parti a-t-il alors péché pour avoir abandonné son discours islamiste ? Peut-être. Mustapha Khalfi relève que l’aile radicale du parti, le Mouvement unicité et réforme (MUR), qui a les faveurs de l’électorat le plus orthodoxe, ne s’est pas mobilisé pendant les élections, pas plus qu’Attajdid, son journal officiel, n’a milité en faveur du parti. Un immobilisme que Mohamed Darif explique fort bien : «Après les attentats du 16 Mai 2003, le PJD a été appelé à se démarquer du MUR, association religieuse de prédication, et le Roi a insisté sur la nécessité de ne pas faire l’amalgame entre le religieux et le politique. C’est pour traduire cette volonté de l’Etat qu’Attajdid a pris une position qui ne traduit pas essentiellement celle du parti».

Enfin, autre explication, celle de l’implantation. Dans le rural, le Rif et le sud, le parti d’Elotmani ne s’est classé premier nulle part. «Le PJD reste un phénomène urbain. A la campagne, nous avons des sympathisants, mais pas assez de sections. Il est clair que le renforcement du parti dans le rural est l’un des grands chantiers à ouvrir», avoue Abdelaziz Rebbah, rejoint dans cette analyse par Mohamed Darif qui estime que le PJD étant encore un parti jeune, il n’a pas encore eu le temps d’imposer ses figures dans la campagne, où l’on vote encore pour des notables.

Zakaria Choukrallah

Les candidats se préparent à livrer leurs comptes électoraux

Publié dans La Vie Eco du 5/10/2007

http://www.lavieeco.com/Politique/les-candidats-se-preparent-a-livrer-leurs-comptes-electoraux

Le 9 octobre, dernier délai pour fournir les détails des dépenses électorales à la Cour des comptes.
Les partis assurent qu’ils seront prêts et chacun aide ses candidats à sa manière.
Proposition : adapter le plafond de 250 000 DH à la taille et à la nature des circonscriptions.


Les candidats aux législatives du 7 septembre dernier parviendront-ils à déposer à temps leurs déclarations de dépenses de la campagne électorale ? Selon le Code électoral, quiconque s’est présenté aux élections se doit de divulguer ses comptes à la Cour des comptes de Rabat au plus tard un mois après la proclamation des résultats, en l’occurence mardi 9 octobre, sous peine de sanctions, comme l’a rappelé le ministère de l’intérieur. La loi prévoit un plafond de 250 000 DH par candidat et oblige les formations qui ont obtenu moins de 5% des voix à rembourser l’aide que leur a versée l’Etat. Les partis contactés se disent confiants et annoncent que leurs candidats parviendront sans peine à respecter le délai. Ce qui ne les empêche pas de se mobiliser, les uns en envoyant une circulaire interne à leurs candidats, d’autres allant jusqu’à les assister voire faire pression sur eux pour s’assurer qu’ils ne feront pas défaut. «Nous avons mis à la disposition de nos candidats des comptables pour les aider», déclare Mustapha Adichane, responsable de communication au Parti du progrès et du socialisme. Du côté des travaillistes, l’on essaie d’aiguiller au maximum les candidats. «Le bureau politique a préparé un modèle de déclaration facile à suivre, divisé en une dizaine de rubriques : repas, gasoil, location de locaux, de voitures, etc.», assure Abdelkrim Benatiq, secrétaire général du Parti travailliste. Le Parti de l’Istiqlal, pour sa part, met à disposition de ses candidats une cellule chargée de les assister. Le Parti socialiste unifié s’est même imposé la date du 1er octobre comme deadline interne : «Nous espérons être les premiers à déposer toutes nos déclarations, et, de toutes les manières, nous nous imposons toujours de tenir une comptabilité rigoureuse», lance Mohamed Daidaa, trésorier du PSU durant la campagne électorale.

On est tenté de penser que si les partis affichent pareille sérénité, c’est que leurs candidats ont déjà déposé un grand nombre de dossiers. On en est loin, assure une source à la Cour des comptes : «Il est encore trop tôt pour savoir si les candidats tiendront leurs promesses et livreront les dossiers à temps. Nous n’avons reçu que très peu de dossiers, en général, ils s’y prennent à la dernière minute». Même le PSU qui veut absolument être le premier, n’avait, à la date du 27 septembre, déposé que 6 dossiers sur un total de 48 candidatures.

Que risquent les retardataires ? Quels sont les justificatifs à fournir ? Selon l’article 290 du Code électoral, «chaque candidat établit un état des dépenses engagées par lui à l’occasion de sa campagne électorale auquel sont jointes les pièces justifiant lesdites dépenses». En d’autres termes, il s’agit de rassembler toutes les factures de transport, de frais de personnel, d’impression, etc.

Tout doit être justifié par facture
Qui épluche les comptes des candidats ? Tout est centralisé au niveau de la Cour des comptes de Rabat, à laquelle les personnes qui se sont présentées aux élections, qu’elles aient remporté un siège ou pas, sont tenues de présenter leurs justificatifs de dépenses. La Cour des comptes formule un avis d’expert qui est ensuite étudié au niveau d’une commission présidée par un magistrat de ladite cour et comprenant un magistrat de la Cour suprême désigné par le ministère de la justice, un représentant du ministère de l’intérieur et un inspecteur des finances. «Notre rôle se limite à vérifier si les déclarations sont conformes à la loi et de communiquer nos conclusions sous forme de rapport aux autres membres de la commission. C’est à eux seuls qu’incombe la décision de recourir a la justice ou non», explique une source à la Cour des comptes. Avant d’en arriver là, certains dossiers seront rejetés, essentiellement pour deux raisons : un retard de livraison, ou encore des factures inadéquates. «Quand ça arrive, le dossier est refusé, et le candidat doit, soit justifier convenablement avec des factures, soit rembourser la somme déclarée», ajoute ce responsable de la Cour des comptes.

Pourquoi obliger les candidats à déclarer le détail de leurs dépenses ? Pour la bonne raison qu’il s’agit de deniers publics. Une avance de 200 MDH a été distribuée aux partis sur la base de plusieurs critères (nombre de circonscriptions couvertes, représentation au Parlement, etc.). Sur ce même budget, une somme forfaitaire de 500 000 DH a été octroyée aux petits partis pour soutenir les candidats les moins riches. Que se passe-t-il quand c’est le parti politique qui gère la totalité de l’aide ? Comment la Cour des comptes arrive-t-elle à distinguer les sommes utilisées par le parti de celles dépensées par le candidat ? Pour résoudre ce problème, le contrôle se fait en deux temps. Exemple : un candidat déclare avoir dépensé 200 000 DH sur le terrain. A cela s’ajoute la somme de 20000 DH déclarée par le parti, qui correspond aux imprimés et tracts envoyés au candidat.

A quoi correspond le plafond de 250 000 DH imposé par candidat et par circonscription ? Comment garantir son respect ? Si, dans l’esprit du législateur, cette aide vise à réduire les écarts entre candidats riches et candidats pauvres, elle est jugée insuffisante par les petits partis. Un simple calcul leur donne raison. Ainsi, pour les petits partis, les 500 000 DH forfaitaires répartis sur les 95 circonscriptions donnent 5 263 DH à allouer pour chacune. «5 000 DH par candidat, ce n’est même pas de quoi assurer les repas du staff. Nous avons dû contracter un crédit bancaire pour boucler le budget», assure Mustapha Adichane, du PPS. Mais, en réalité, tout dépend de l’étendue géographique de la circonscription électorale dont il est question et de sa nature urbaine ou rurale. Plus la circonscription est vaste et plus les frais d’essence s’envolent, par exemple.

Abdelhamid Khalil, membre du bureau exécutif du RNI, estime que le plafond de 250 000 DH ne correspond plus à la réalité, d’autant plus qu’il date de l’époque du scrutin uninominal. «Il faut faire une estimation plus réaliste des besoins des candidats selon la circonscription. C’est la meilleure façon d’éviter les fraudes au niveau des comptes». Certains estiment pourtant ce plafond raisonnable. C’est le cas de Abdelouahed Souheil, candidat malheureux du PPS qui déclare que la totalité de ses frais de campagne oscille entre 120000 et 130 000 DH. «Pour faire une campagne politique, c’est suffisant», assure-t-il.

Zakaria Choukrallah

USFP, le moment de vérité

Publié dans La Vie Eco du 30/09/2007

http://www.lavieeco.com/Politique/usfp-le-moment-de-verite

Le parti a réuni son conseil national jeudi 27 septembre pour trancher sur sa participation au gouvernement.
Absence de mise en exergue de son propre bilan, mauvais choix de candidats, attaques de la presse..., diverses raisons sont invoquées pour expliquer la débâcle du parti.


Jeudi 27 septembre, 9 rue El Arâr. Dans l’immeuble très chic qui lui sert de quartier général à Rabat, l’USFP réunissait son conseil national. Objectif? Trancher entre la participation du parti au prochain tour de table du gouvernement El Fassi et un passage à l’opposition.

Jamais depuis son retour à la majorité gouvernementale, en 1997, l’USFP ne s’était trouvée dans une situation pareille. A peine 38 sièges remportés aux législatives, mais surtout une cinquième place, soit quasiment la dernière parmi les gros partis et l’Istiqlal, éternel rival, qui se classe premier.

La tenue de ce conseil se présente donc comme l’occasion d’une véritable catharsis pour les militants, et une opportunité pour les voix contestataires de s’exprimer «dans le cadre des institutions du parti», conformément aux souhaits du numéro 1 du parti, Mohamed Elyazghi. Ce dernier avait-il le choix ? Depuis la publication des résultats, moult voix se sont élevées, au sein du parti, pour réclamer qui la refondation de l’USFP, qui un retour à l’opposition et qui, même, la démission du bureau politique et de son premier secrétaire, souvent les trois à la fois.

La tension s’est exacerbée au point que, dans un communiqué daté du 14 septembre, le secrétariat régional du parti à Tanger appelait publiquement le bureau politique à «présenter sa démission et à la tenue d’un congrès exceptionnel pour élire une nouvelle instance dirigeante». A l’origine de la colère des militants de Tanger, le fait que le parti ait imposé, pour la circonscription locale, sans l’aval de la base, des candidats dont le fils du premier secrétaire, Omar Elyazghi, et son directeur de cabinet au ministère de l’aménagement du territoire, Mohamed Benabdelkader, qui ont subi tous deux une cuisante défaite aux élections, alors que Mohamed Achboun, qui bénéficiait du soutien des bases mais qui n’avait pas reçu l’accréditation de l’USFP, a réussi à décrocher un siège sous l’étiquette SAP (sans appartenance politique), se classant troisième avec la bagatelle de 13,3% des voix contre seulement 1,7 % pour son «concurrent» USFP. Joint au téléphone par La Vie éco, le secrétaire régional de l’USFP à Tanger, Mustapha El Karkri, est catégorique. Pour lui, «si l’USFP a perdu, c’est à cause des candidats parachutés par la direction, en plus des multiples atermoiements qui ont précédé leur désignation et qui ont énormément pénalisé la campagne. Pour rester conséquents avec la logique de l’Internationale socialiste, il faut que le bureau politique démissionne ! ».

L’USFP victime des échecs du gouvernement ?
Même si ces candidatures ont posé problème, elles n’expliquent pas à elles seules la déconfiture du parti qui est passé de la première position en 2002, avec 50 sièges, à la cinquième en 2007, avec 38 sièges, derrière l’Istiqlal (52 sièges), le PJD (46 sièges), le Mouvement populaire (41 sièges) et le RNI (39 sièges). Cela, sachant que les résultats de 2002 eux-mêmes montrent une tendance à la baisse par rapport à ceux de 1997 (55 sièges).

Détail non négligeable, bon nombre de grosses pointures de l’USFP ont essuyé un échec retentissant aux élections : Mohamed Achaâri et Nezha Chekrouni, tous deux membres du gouvernement sortant ; Driss Lachgar, président du groupe parlementaire sortant, ou encore des militants connus comme Abdelkabir Tabih, Mohamed Karam, Omar El Gharbaoui, etc. Comment expliquer cette défaite ? Au sein de l’USFP, on avance, entre autres explications, le fait que le parti a assumé le bilan du gouvernement dans son intégralité. Dans une interview accordée à l’hebdomadaire Al Ayam, le 15 septembre courant, Mohamed El Yazghi, se justifiant, assurait que l’USFP ne tient pas de «double langage» quand il s’agit de bilan. Décryptez : contrairement à l’Istiqlal, nous assumons tout et pas uniquement le bilan individuel de nos ministres. «Nous avons été les seuls à endosser courageusement le bilan du gouvernement. Nous avons même distribué lors de la campagne une brochure qui y était consacrée», ajoute pour sa part Abderrahman Amrani, membre du conseil national de l’USFP. «Les électeurs ne votent pas pour le passé et pour un bilan, quel qu’il soit, positif ou non. De plus, dans l’imaginaire du Marocain moyen, l’USFP représente à elle seule le gouvernement. Les attentes étaient grandes, nous étions une légende. La déception a été du même niveau. Tous les ratés du gouvernement ont été mis sur le dos de l’USFP et celle-ci a creusé le sillon en assumant tout», ajoute Hassan Tariq, ancien secrétaire général de la Chabiba ittihadie. Son prédécesseur, Soufiane Khairat, va plus loin : selon lui, les gens sont désormais convaincus que l’USFP a atteint ses limites, donc pourquoi voter pour ce parti ? «Il fallait présenter un programme de rupture, pas de continuité. Résultat, nous avons perdu 500 000 voix en 5 ans», se désole-t-il.

Pas assez de proximité et des ministres très critiqués
Qu’en est-il des reproches très rudes et souvent fondés à propos de la gestion de certains départements comme la justice et l’éducation ? Les militants limitent leur portée et résument cela à une guerre médiatique. «C’est une stratégie sensationnaliste pour vendre. Prenez le ministère de l’éducation. Qui a parlé des réalisations: la réhabilitation de la philosophie, l’introduction de nouvelles matières...? Par contre, les journaux se sont concentrés sur les faits et gestes du ministre», estime Abderrahman Amrani.

Sans amoindrir l’impact négatif qu’aurait pu avoir la presse indépendante sur l’USFP, Mohamed Sassi, le secrétaire adjoint du PSU (Parti socialiste unifié) et ancien membre de l’USFP, remarque que «c’est le prix de la démocratie. La presse a insisté sur l’USFP parce que c’est la force politique centrale. En contrepartie, l’USFP ne s’est pas comportée intelligemment. Au lieu de relever le niveau du débat, elle a mené une véritable guerre par articles interposés».

Selon plusieurs observateurs, toutefois, l’image du parti ne serait pas écornée seulement à cause des médias puisque les électeurs en auraient désormais une image différente. Ils perçoivent les candidats de l’USFP comme embourgeoisés et arrogants. «Il n’y a pas que le ministre et le parlementaire à l’USFP, il faut corriger cette image en misant sur la proximité», estime Aïcha Belarbi, membre du bureau politique du parti. Tous les militants s’accordent à le dire, il faut donner plus de pouvoirs aux instances régionales et locales et travailler davantage avec les associations locales. «Il n’y a qu’à voir le nombre de présidents de communes qui ont gagné aux élections», confie ce responsable du bureau politique.

Cela étant, certains proposent des solutions plus radicales, la refondation du parti par exemple : Nasr Hajji, ex-ministre des télécoms, appelle au rassemblement de toute la gauche au sein d’un même parti. Tous réunis, les partis de la gauche ont décroché tout de même 77 sièges. Mohamed Sassi doute de la faisabilité de la chose : «C’est une excellente idée, sauf qu’elle ne sert pas les intérêts des dirigeants de ces partis qui tiennent tous à garder leurs positions. Si M. Elyazghi le voulait, il aurait accepté les courants au sein de l’USFP».

Oui à une participation au gouvernement mais sous conditions
Plus modéré, Soufiane Khairat appelle à un renouvellement au sein du parti : «Je ne parle pas uniquement des dirigeants, mais aussi des structures, désormais inefficaces. Il faut plus de démocratie interne, et plus de pouvoirs pour le conseil national et les instances régionales». Même son de cloche chez Hassan Tariq qui estime qu’il faut donner l’opportunité à de nouvelles figures, et surtout ne pas proposer aux ministères les profils qui ont perdu aux élections.

D’autres voix demandent à ce que le parti aille dans l’opposition. Lahbib Cherkaoui, un militant de longue date, a été le premier à l’exiger. Il estime qu’il faut «rejoindre l’opposition et provoquer un grand débat au sein du parti en convoquant tous les camarades qui ont gelé leurs activités pour préparer sérieusement l’échéance de 2009 et reconquérir les grandes villes - Rabat, Casablanca, Marrakech, Fès, Tanger, Tétouan, etc.». L’économiste Larabi Jaïdi, membre du secrétariat national du parti, pose la question de savoir «comment l’USFP peut-elle renforcer le processus démocratique du pays ? En rejoignant le gouvernement ou en intégrant l’opposition ?». Avant d’émettre une idée : «A l’opposition, l’USFP ne va-t-elle pas réunir de meilleures conditions pour que l’opinion publique croit en la crédibilité de la démocratie et en la possibilité de régénérer des relais : les syndicats, l’implication de la jeunesse dans la politique, le rôle des instances locales ? »

Bien que l’option de l’opposition présente l’avantage d’être plus en cohérence avec la dégringolade de l’USFP et les résultats des autres formations politiques, elle peut cependant se révéler désavantageuse pour le parti de la rose. En attendant, même les partisans de la participation posent leurs conditions. «Nous estimons avoir un droit de regard sur la composition du futur gouvernement», assure Mohamed Marghadi, membre du secrétariat national. «Nous ne participerons pas au gouvernement s’il n’y a pas de solidarité, nous en avons fait l’expérience en endossant seuls le bilan du gouvernement, alors que d’autres se sont concentrés sur les réalisations individuelles», assure-t-il. Jeudi soir, alors que ces lignes étaient écrites, le conseil national devait trancher.... Probablement pour une participation au gouvernement, sous conditions.

Zakaria Choukrallah

Fraudes électorales : désaccord sur l’étendue du phénomène

Publié dans La Vie Eco du 21/09/2007

http://www.lavieeco.com/Politique/fraudes-electorales-desaccord-sur-letendue-du-phenomene

Des plaintes continuent d’être déposées auprès du Conseil constitutionnel.
Le collectif associatif estime que le phénomène a été fréquent. Le CCDH atténue son ampleur
Certains partis accusent l’Etat d’avoir été trop neutre.


Si de l’aveu des formations politiques, des observateurs et de la presse étrangère les élections ont été honnêtes et transparentes côté administration, il n’en n’a pas été de même côté candidats. Depuis l’annonce des résultats, plusieurs parmi ces derniers, et pas seulement les recalés, ont dénoncé des irrégularités, dont l’utilisation d’argent, laissant présager un déferlement de plaintes auprès du Conseil constitutionnel. Les partis politiques sont en train de réunir le maximum de preuves en vue d’appuyer leur dossier : le PPS assure qu’il a déjà déposé trois plaintes et que quatre autres sont «dans le pipe», le Mouvement populaire en annonce trois, qu’il n’a pas encore déposées officiellement...

Concernant la nature des fraudes, et comme l’on pouvait s’y attendre, la corruption détient la part du lion. Toutefois, l’on relève aussi des cas de manipulation des cartes électorales ou des bulletins de vote, des irrégularités dans les procès-verbaux des bureaux de vote et même des cas de violence physique ou de menaces pour empêcher les citoyens d’aller voter.

Ici et là, on assiste à une pluie de contestations. Dans la circonscription de Taounate Tissa, par exemple, 14 candidats dénoncent des irrégularités et accusent les autorités locales de cautionner les agissements de candidats corrompus. Idem à Témara, où Nabil Benabdellah, actuel ministre de la communication, porte-parole du gouvernement et candidat malheureux aux élections, a été victime, ainsi que son équipe, de jets de pierre lors d’une réunion précédant le jour du scrutin. A Ben Ahmed dans la province de Settat, 13 candidats têtes de liste ont manifesté devant le siège local du CCDH. A Nador, ce sont également 14 têtes de liste qui contestent les résultats.

Champion toutes catégories de la contestation : le PJD. Aussitôt les résultats annoncés, la formation de Saâd-Dine Elotmani était montée au créneau pour dénoncer les manipulations. «Nous sommes en mesure de prouver que 10 sièges de plus nous reviennent de droit. Et cela, sans compter les circonscriptions où il s’en fallait de peu pour que le second de la liste passe. Je pense que nous aurions facilement pu obtenir 70 sièges, s’il n’y avait pas eu utilisation massive d’argent !», martèle Lahcen Daoudi, porte-parole du parti. Exagération ? L’avenir le dira.

Une autre manière d’utiliser l’argent
Même son de cloche, à un détail près, chez cet élu de Berrechid qui estime que ces cas de fraude remettent en cause le classement, mais pas les résultats des élections. «J’aurais pu me classer premier, mais un candidat adverse a bien retenu la leçon car il s’était classé deuxième la dernière fois. Cette année, il a distribué suffisamment d’argent pour s’assurer la première place». Et de préciser que l’argent a joué un plus grand rôle lors des législatives 2007 que dans celles de 1997 et de 2002.

L’Organisation marocaine des droits humains (OMDH) n’est pas du même avis. Dans son rapport, cette dernière souligne que «la stratégie de l’utilisation d’argent par certains candidats s’est avérée contreproductive, au moins deux des candidats perdants en sont la preuve» (circonscription Aïn Sebaâ-Hay Mohammadi). En effet, selon la directrice du programme de l’observation des élections de l’OMDH, Amina Bouayache, «beaucoup de personnes qui ont reçu de l’argent ne sont finalement pas allées voter. Les gens ont maintenant une conscience politique, cela explique aussi en partie le faible taux de participation aux élections». D’un autre côté, l’OMDH révèle que, pour les élections 2007, l’argent n’a pas été utilisé de manière directe. Les candidats véreux ont eu plutôt recours à des intermédiaires allant à la rencontre des gens dans les lieux fréquentés : épiceries, téléboutiques, etc. Les promesses qu’ils font miroiter aux électeurs ? De l’argent liquide ou des services : financer un mariage, une circoncision, etc.

Pour sa part, le collectif associatif pour l’observation des élections, qui a mobilisé 3 210 observateurs, a distingué dans son rapport préliminaire trois catégories de fraudes observées : celles survenues pendant la pré-campagne (festins, financement de fêtes, services rendus aux citoyens, inaugurations de projets locaux), celles pendant la campagne électorale (usage d’argent, insultes, violences physiques, promesses à des fins électorales, exploitation de biens publics) et, enfin, les manœuvres le jour du scrutin. Le Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH), qui a piloté l’opération d’observation, a pour sa part publié un rapport préliminaire moins alarmiste.

Tout en indiquant que «les élections se sont déroulées dans des conditions normales d’honnêteté, de transparence et de neutralité de la part de l’administration», le conseil affirme n’avoir relevé que des cas limités d’irrégularités en dehors des bureaux de vote, notamment l’utilisation d’argent et la poursuite de la campagne le jour même du scrutin.

Excès de zèle chez certains fonctionnaires
Pour M’hammed Grine, candidat malheureux du PPS, l’argent n’a pas été le nerf de la guerre, cette fois-ci. «Ce qui a le plus joué, explique-t-il, c’est le faible taux de participation». Il appelle ainsi à une réforme du système d’octroi des cartes d’électeurs. «Le grand chantier à ouvrir, c’est celui des listes électorales. Il faut prendre le fichier des cartes nationales et inscrire systématiquement les citoyens dans leur circonscription de naissance», assure-t-il. Le rapport de l’OMDH soulève lui aussi que si 75% des cartes d’électeurs ont été retirées, les électeurs n’ayant pas pu le faire ont eu des difficultés à identifier le bureau de vote.

Mis à part le zèle de certains fonctionnaires, comme les moqaddems, qui ont cru bon de distribuer des cartes d’électeurs à domicile - ce qu’ils n’ont pas le droit de faire -, l’Etat a observé une position de neutralité durant tout le processus. Un peu trop neutre, au goût de certains candidats. Ainsi, ce député USFP parle, lui, de «neutralité négative». «Le jour du scrutin, explique-t-il, les sous-fifres de mon concurrent se sont postés devant les bureaux de vote. Ils ont même utilisé des cartes que les électeurs n’avaient pas retirées pour les remettre aux personnes à leur solde».

Rappelons que la loi (voir encadré) donne aux partis un délai de 15 jours à partir de la date de la proclamation du résultat pour déposer leurs recours. Et ce sera au Conseil constitutionnel de dire s’il y a eu ou non fraude et de décider de l’annulation ou non du siège concerné.

Face à ces protestations, le ministère de l’intérieur n’a pour le moment pas pris position.

Zakaria Choukrallah

Mohamed Sassi, le candidat «ould l’houma»


Publié dans La Vie Eco du 31/08/2007

(Lien: http://www.lavieeco.com/Politique/mohamed-sassi-le-candidat-ould-lhouma)

Le numéro deux du PSU mène la bataille dans la «circonscription de la mort» : Rabat-Océan.
Des poids lourds pour adversaires, un budget très serré, Sassi joue sur son appartenance au quartier.


Dimanche 26 août, 11h. Branle-bas de combat au siège du PSU (Parti socialiste unifié) à Rabat. Remporter la «circonscription de la mort» (Rabat-Océan) ne va pas être facile pour le candidat Mohamed Sassi : en face de lui se trouvent des candidats rodés au processus électoral. Cela étant, Najib Akesbi, n°2 de la liste, tempère : «Je suis confiant. Le PJD que nous redoutions a choisi un candidat autre que celui plébiscité par sa base, l’USFP a procédé à un changement de candidat à la dernière minute et l’image du MP est brouillée. Je pense que nous aurons au moins assez de voix pour faire passer la tête de liste.»

Dans l’appartement qui fait office de QG de campagne, les militants sont fébriles. Ce deuxième jour est déterminant car la campagne ne comprend que deux week-ends où les partis peuvent toucher le maximum de citoyens. De plus, une équipe de télévision est attendue aujourd’hui. Sur le terrain, le programme de la journée se résume à une seule action : distribuer des tracts. Une première équipe va se diriger vers un souk et fera les cafés et les grandes surfaces, tandis qu’une deuxième organisera une marche sur les grands boulevards du quartier Agdal. «Lors de cette première phase, notre objectif est de faire circuler l’information. Il faut que, dans les deux jours qui viennent, notre liste soit connue de tous», explique M. Sassi. Le reste de la campagne sera consacré au porte-à-porte, en petits comités. Pour y arriver, l’équipe s’est scindée en trois groupes. Le premier opère à Yacoub El Mansour, où se concentrent les deux tiers de la population votante, le second à Rabat-Agdal et le dernier au quartier l’Océan.

13 heures. L’équipe de télévision est enfin là. M. Sassi adresse ses directives aux militants, non sans encouragements : «Nous progressons vers la victoire. Mais soyez très prudents. Si vous croisez d’autres candidats, cédez-leur la place. Soyez courtois envers les citoyens, n’insistez pas si quelqu’un déchire les tracts ou vous insulte. Gardez votre sang-froid, quoi qu’il arrive».

Les jeunes désabusés et agressifs
Après cette mise au point, direction Souk Laghzel, le très fréquenté marché aux puces de la capitale, dans le quartier Yacoub Al Mansour. Postés à l’entrée du souk, les militants distribuent les tracts et engagent parfois la discussion avec les citoyens. «Votez pour nous. Vous connaissez Mohamed Sassi ? Il est du quartier, c’est un oueld douar, comme nous tous», tentent de convaincre les militants. Ici, Sassi joue la carte de la notoriété locale, même s’il martèle que sa campagne n’est pas personnalisée. «Il est vrai que dans les quartiers les plus populaires, nous sommes obligés d’avoir recours à ce type d’arguments, mais jamais aux dépens de notre programme. Si je peux faire passer les idéaux de notre parti grâce à ma popularité, c’est tant mieux», avoue-t-il. D’autant plus que Yacoub El Mansour est le quartier natal de Mohamed Sassi, où il jouit d’une côte de popularité certaine.

La réceptivité des citoyens varie selon leur âge et le quartier où ils habitent. De l’aveu des militants, les habitants de l’Agdal, de Hay Ryad et des quartiers moyens sont réceptifs, tandis que ceux des quartiers pauvres et les jeunes le sont beaucoup moins. Si la pauvreté et le faible niveau d’instruction expliquent la réaction des habitants des quartiers populaires, qu’en est-il des jeunes ? «Ils ont des préjugés sur tous les partis politiques parce qu’ils ont une mauvaise image de l’homme politique marocain. Ont-ils tort ? J’ai bien peur que non. Les jeunes sont désabusés à cause de l’opportunisme, des promesses en l’air (éradication du chômage, par exemple), du clientélisme, etc.», analyse M. Sassi. Et, parfois, ils deviennent même agressifs, comme le confie un militant : «Hier, c’était le premier jour de campagne, des jeunes m’ont insulté et jeté les tracts à la figure».

Un budget de 200 000 DH !
Le reste de la population se partage entre sceptiques (très nombreux) et personnes acquises à la cause du PSU - peu nombreuses. Dans le lot, un certain nombre sont des déçus de l’USFP ; si cela peut jouer en sa faveur, cela peut parfois être un handicap. Pour preuve, le témoignage de ce militant qui assure s’être fait rabrouer par un citoyen à la vue du mot «socialiste» sur le tract !

15 heures. Les militants font une pause déjeuner. «Ils se prennent totalement en charge. Nous ne les payons pas 100 ou 200 dirhams comme le font certains partis. C’est contraire à nos principes», assure Fatim-Zahra Chafiîi, responsable du budget. Une question de principe, donc, mais également de moyens. Le compte bancaire destiné à financer la campagne contient à peine 108 844,75 DH. On table sur quelques promesses de dons pour atteindre 200 000 DH mais c’est tout. Un budget très faible qui pénalise énormément la campagne de M. Sassi, selon les dires de sa trésorière. Pour boucler le financement, tous les moyens sont bons : le candidat aurait même proposé de vendre sa voiture. Mais, en attendant, il faudra se serrer la ceinture: les tracts sont distribués avec parcimonie, les militants ont acheté des téléphones portables à 75 DH et profitent d’une offre de gratuité des communications. On leur propose même de payer le tee-shirt portant le logo du parti qu’ils utilisent pour la campagne.

17 heures. L’équipe se retrouve au QG du parti. Avec leurs tracts, les militants se dirigent vers les grandes surfaces. M. Sassi a prévu de rencontrer quelques sympathisants qui jouissent de la confiance de leurs voisins et qui pourraient les convaincre. Ses arguments pour les séduire ? Sa réputation avant tout. En chemin, il s’arrête pour s’enquérir du travail des militants et s’entretenir avec les citoyens qui ont demandé à le rencontrer.

21h10. Tout le monde se retrouve au siège du parti pour la séance de débriefing. Au menu, un récapitulatif des activités menées la journée et quelques propositions pour rendre la campagne plus efficace. Le lendemain sera consacré encore une fois à la distribution des tracts, puis viendra l’étape du porte-à-porte. C’est encore la phase tranquille de la campagne, nous dit-on au QG. A compter du 27 août, les actions vont s’intensifier.

Zakaria Choukrallah

Lien article publié dans "El Ennasim" (réalisé en Egypte)

www.cfpj.com/cfj/prod/mag/El-Nessim/El-Nessim-15-aux-coeurs-du-souk.pdf

"Les Palestiniens sont passés de victimes à coupables"

(Interview de René Backmann, rédacteur en chef au Nouvel Observateur)
L'Economiste du 13/03/2007

René Backmann a animé une conférence à l’Institut supérieur d’information et de communication (ISIC, Rabat) où il a présenté son livre «Un Mur en Palestine». Son enquête démontre que le mur de séparation entre Israël et les territoires palestiniens est plus un barrage contre la paix qu’un moyen de protection antiterroriste.

· L’Economiste: «Il est là, à 5 mètres de la boutique. Gris, massif, plus invulnérable qu’un char d’assaut, deux fois plus haut que le défunt mur de Berlin (…) il coupe la route de Jéricho (…) se glisse entre les immeubles résidentiels (…) escalade les collines, tranche le paysage (…)». C’est la description que vous faites du mur dans votre livre. Que cache ce mur? A quoi sert-il réellement?

- René Backmann: Il sert, pour les Israéliens, à tracer une nouvelle frontière entre eux et le territoire de l’Etat de Palestine, si celui-ci existe un jour. Une nouvelle frontière qui rend cet Etat de plus en plus petit et de moins en moins viable. Il leur sert aussi à affirmer une volonté de faire des choix unilatéraux, de proclamer par des gestes et non par des mots, que négocier n’a plus de sens.
S’il avait été bâti en territoire israélien et le long de la vraie frontière, il mesurerait, comme cette vraie frontière environ 325 km (longueur de la Ligne d’armistice de 1949, appelée Ligne verte). En fait, une fois fini, il mesurera plus de 650 m. Il dessine à l’intérieur de la Cisjordanie de très amples et profonds méandres, pour contourner et annexer de fait à Israël la majorité des colons de Cisjordanie.

· Les critiques fusent sur ce mur. Quels dangers représente-t-il pour la paix?

- Il constitue, à mes yeux, un danger majeur. Un obstacle de taille pour la paix. D’abord, parce ce qu’il complique encore des discussions éventuelles. Ensuite, parce qu’il génère, chez les Palestiniens, des injustices, des frustrations, des révoltes génératrices de violence. Et enfin, parce qu’il complète et parachève la colonisation de la Cisjordanie, entreprise depuis 1967 par les Palestiniens. Par dessus tout, parce que, quand on veut négocier, on doit se voir, se rencontrer, se parler. Or, à travers un mur, rien de tout cela n’est possible.

· Vous estimez que le mur n’a eu qu’un moindre impact sur la sécurité des Israéliens. Comment cela?

- La construction de la première partie du mur a coïncidé, grosso modo, avec la trêve des attentats décidée par toutes les organisations -islamistes armés comprises- après l’élection de Mahmoud Abbas. Il est donc difficile de dire si les attentats n’ont pas eu lieu grâce au mur ou grâce à la trêve. Par ailleurs, depuis que le mur et la barrière existent (car il y a parfois barrière, parfois mur), aucun terroriste n’a été arrêté sur le mur, selon les statistiques israéliennes.

· Dans votre livre, vous parlez de «camouflage sémantique» des deux parts. Pouvez-vous nous donner des exemples?

- Je parle de «camouflage sémantique» à propos de «l’administration civile» israélienne. Car cette dénomination cache en fait la branche de l’armée chargée d’administrer les territoires occupés. C’est donc une administration qui, malgré son nom, n’a rien de civil.

· Comment interprétez-vous l’inaction de la communauté internationale? Et pis, celle des Etats arabes?

- Elle révèle la solitude, l’abandon, dans lesquels se trouvent les Palestiniens. En fait, malgré la rhétorique habituelle du monde arabe sur les «frères» palestiniens, ils ne sont pas mieux traités par les Occidentaux que par leurs «frères». Cela dit, l’Europe, même si elle est loin d’être irréprochable dans ses choix et son inaction, est le principal bailleur de fonds de l’Autorité palestinienne.
Cette passivité générale s’explique de mille façons. L’une des raisons, à mon sens, tient à l’attaque du 11 septembre: tout à coup, aux yeux des Américains, les Palestiniens ont cessé d’être des gens combattants pour leurs droits pour devenir des terroristes acharnés contre un ami de l’Amérique. Sharon a très habilement joué de ça en affirmant que Yasser Arafat était la version locale de Ben Laden et qu’Israël participait à sa façon à la guerre contre le terrorisme. Il faut admettre qu’en passant de la guerre des pierres à la deuxième Intifada, avec l’usage des armes et les attentats suicides, les Palestiniens ont changé d’image aux yeux de l’opinion internationale. De victimes, ils sont devenus coupables. Coupables d’actes de terrorisme. Ce qui a encore augmenté leur isolement et leur vulnérabilité.

· Comment a été réalisée l’enquête?

- Je me suis efforcé de rencontrer, des deux côtés du mur, chez les Israéliens comme chez les Palestiniens, tous les protagonistes de ce dossier. Côté israélien: ceux qui l’ont décidé, conçu, construit, protégé. Mais également, les personnes qui s’y sont opposés et celles qui en bénéficient. Côté palestinien : ceux qui en souffrent, dont la vie a été bouleversé, et finalement les Palestiniens qui se sont battus contre le mur, sur le terrain ou devant les tribunaux.
A côté de cela, je me suis efforcé de me procurer tous les documents déjà écrits sur le mur: livres, dossiers, articles. J’ai consulté les sites web des deux côtés, comme du côté des Nations unies, qui éditent des cartes de très bonne qualité. Et ensuite, j’ai croisé tout cela avec mes informations glanées sur le terrain pour accumuler des éléments solides, aussi rigoureux et incontestables que possible.


Parcours

René Backmann est rédacteur en chef au Nouvel Observateur où il s’occupe du service étranger. Cela fait 25 ans qu’il couvre l’actualité du Proche-Orient. Il est diplômé du Centre de formation des journalistes de Paris (CFJ, 1964). Engagé, il a beaucoup écrit sur la répression qui touche les milieux de gauche et de l’évolution des forces de police. Il a publié un recueil d’articles sur ce sujet: «Les Polices de la Nouvelle Société» (F. Maspero, 1971).
Il commence à traiter du conflit israélo-arabe à partir de février 1983. En outre, il est l’ami personnel d’Elias Sembar.
René Backmann a reçu le prix de la Fondation Mumm (1991) pour son enquête sur «L’islam et les financiers de l’intégrisme». Il est le coauteur des médias et l’humanitaire (CFPJ éd. 1996). Le livre qu’il a présenté au Maroc, «Un mur en Palestine», est une enquête sur le mur et les barrières érigés par Israël en Cisjordanie.

Propos recueillis par
Zakaria CHOUKRALLAH

3.3.07

Presse/Economie
La censure n’est plus politique!
L'Economiste 18/01/2007

«Gouvernance», «compétitivité», «flexibilité», etc. Que de vocabulaire propre à l’économie repris largement par les journaux. Pascal Durand, écrivain et professeur belge, pense que c’est une nouvelle forme de langue de bois. Il appelle cela «la censure invisible». C’est le thème d’une conférence qu’il a animé à l’Institut supérieur de l’Information et de la communication (Isic) à Rabat.

· L’Economiste: Vous préparez un livre qui répertorie 150 expressions de langue de bois journalistique. Quelles sont les plus fréquentes?

- Pascal Durand: La langue de bois ne concerne pas le seul discours journalistique, mais l’ensemble du discours politique. L’économisme ambiant tend à imposer l’entreprise, le marché, le libre-échange comme normes non seulement économiques, mais également sociales, et réduit donc la politique à une gestion ou à une administration de ressources. De cet économisme témoignent par exemple des mots ou expressions tels que «capital humain», «globalisation», «employabilité», «compétitivité», «flexibilité», «plan stratégique», etc. Un autre répertoire très prégnant est celui qui tend à imposer au personnel politique et à leur programme le vocabulaire de l’expertise et de la technologie: le mot le plus significatif à cet égard est celui de «gouvernance», importé du lexique du management et de la gestion des entreprises. Cette «gouvernance» réduit l’action politique à l’organisation technocratique de «solutions» à des «problèmes», tels que le chômage par exemple. Dans le même sens, l’argument le plus souvent entendu pour justifier la vision «expertocratique» du pouvoir est celui de la «complexité» ou d’un «monde de plus en plus complexe», dans lequel l’action politique consiste à administrer rationnellement un Etat réduit à un système, à des rouages, à des fonctionnements mécaniques.
Cette double imposition du discours de l’économie et de l’expertise est l’un des dangers qui menacent la démocratie. La chute du mur de Berlin, l’effondrement de l’utopie communiste, la montée en puissance d’un hypercapitalisme planétaire ont en quelque sorte trouvé leur répondant dans un lexique qui traduit une vision politique froide, mettant le citoyen en congé de la sphère publique.

· Lors de votre conférence, vous avez dit qu’il ne faudrait pas que «la censure invisible» remplace la censure politique au Maroc. Qu’entendez-vous par là?

- Ce que j’appelle «censure invisible» est la soumission inconsciente à ce qu’il est convenu d’appeler une «pensée unique», s’exprimant dans un vocabulaire et un mode de construction du monde. Si la presse au Maroc conquiert sa liberté politique, se modernise en suivant l’exemple de la presse européenne et française en particulier, il ne faudrait pas que sa modernisation l’incite à donner dans tous les clichés de la pensée dominante, telle qu’elle s’est imposée dans les démocraties postindustrielles. La modernité en Europe a sa face d’ombre: celle de l’économisme tout puissant. Et l’important serait que journalistes marocains et journalistes d’Europe conjuguent leurs efforts pour lutter contre la réduction de la presse, non plus à une officine du pouvoir politique, mais à une officine au service d’une pensée de marché.

· Le débat au Maroc est encore limité à la censure politique. Qu’en est-il de la censure, plus insidieuse, que pose les impératifs commerciaux?

- La dissociation entre politique et économie constitue l’un des effets de censure ou d’occultation les moins vus, parce qu’elle tend aujourd’hui à s’imposer comme allant de soi. Economie et Etat ne sont pas deux forces opposées ou extérieures l’une à l’autre: du politique est en jeu dans les choix économiques, et toute économie est politique. Ceci étant dit, l’erreur serait de s’en tenir à la censure proprement politique, au poids du pouvoir gouvernemental.
La presse, les médias, l’école, l’université sont aussi les cibles d’une surveillance proprement économique, prenant la forme tantôt d’un projet de refonte relevant d’une froide rationalité économique (rationalisation, libéralisation, privatisation, etc.), tantôt de la compétition proprement commerciale dans laquelle ces institutions, dont la presse, se trouvent plongées. L’effet de cette compétition ne contribue pas, contrairement à l’opinion reçue, à une diversité de l’offre médiatique, mais au contraire à une chasse à l’audience, au succès qui font que les mêmes recettes sont mises en oeuvre. Le monde des médias tend ainsi de plus en plus à se modeler sur celui d’une information commerciale, destinée à séduire le plus grand nombre, au profit des annonceurs qui contribuent au financement des journaux.

· Au Maroc, la majorité des ressources d’un journal francophone proviennent de la publicité. Dans ce contexte, comment s’affranchir du contrôle des annonceurs?

- Un journal financé par la publicité vend des lecteurs à des annonceurs, autant qu’il vend de l’information à ses lecteurs. Le contrôle des publicitaires sur le journal passe moins par des pressions directes sur les thématiques abordées dans le journal que par une pression indirecte. Celle de la course à l’audience, au sensationnel, au spectaculaire, à l’information spectacle plus qu’à l’information construite, recoupée, distanciée.


Bio’express


PASCAL Durand est professeur à la faculté de philosophie et de lettres de l’Université de Liège. Il enseigne la sociologie des institutions culturelles et les théories critiques de l’information.
Pascal Durand est aussi écrivain, poète. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur les médias dont «Médias et censure, figures de l’orthodoxie» (Editions de l’Université de Liège) , «La Censure invisible» (Actes Sud, 2006) et «La Censure de l’imprimé « (2006). Il prépare actuellement un livre où il répertorie 150 expressions de langue de bois journalistique et politique.

Propos recueillis par
Zakaria CHOUKRALLAH

Théâtre des Roches-Noires: Quel spectacle!
L'Economiste du 28/02/2007

· Un show annulé au bout de plusieurs jours de préparation

· Loupés dans la sono, l’alimentation électrique…


· Une véritable débâcle aux frais du contribuable


Dimanche 11 février, Théâtre Mohammed VI, Les Roches-Noires à Casa, en milieu de matinée. Une soixantaine de jeunes artistes sont sous le choc. On vient de leur annoncer l’annulation du spectacle qu’ils préparaient depuis 12 jours.
L’émotion est palpable, un fonctionnaire se cherche un prétexte et ose la provocation. «Vous ne voulez pas travailler!», lance-t-il en sortant du théâtre. Il fuira finalement escorté par la police. Mahmoud, un styliste marocain, arrache des murs les listes des ordres de passage pour les répétitions. Le metteur en scène affirme que c’est la première fois dans sa longue carrière qu’il est obligé d’annuler un spectacle. Les Marocains se sentent tout petits. «C’est le genre de choses qui n’arrivent que chez nous», lancent-ils, dépités. Les raisons de l’annulation: une défaillance dans le système électrique. En début de journée, Damien, ingénieur lumière, a été électrocuté, sans graves séquelles heureusement.

· Pas de plans


Il est presque 14 heures, moment de la dernière répétition générale précédant la présentation de 20h30. L’équipe a déjà cumulé beaucoup de retard, depuis son arrivée à Casa quatre jours auparavant. Le matériel adéquat n’arrive toujours pas. Jean-Michel Frère, le metteur en scène, s’impatiente: «Même si le problème technique est réglé, pensez-vous qu’artistiquement c’est faisable?», s’adresse-t-il à la troupe. «Généralement, c’est la technique qui s’accommode à l’artistique; là, c’est le contraire», lance Momo Merhari, de l’association L’EAC L’Boulevard, coorganisateur partenaire de «Naïda». Il fait référence au problème de sonorisation qui n’avait toujours pas été réglé. Autre exemple: le metteur en scène avait demandé les plans de la salle pour élaborer la scénographie; le théâtre n’en disposait pas.
Le directeur du théâtre, Hicham Abkari, s’en défend: «C’est à l’organisateur de procéder au “repérage”: au moyen d’un rayon laser, ils prennent les mesures pour élaborer un croquis qui servira pour la scénographie». Rappelons que ce théâtre a coûté la bagatelle de 65 millions de dirhams et qu’il aura fallu 15 ans pour le construire, à cause des multiples arrêts de chantier dus à la mauvaise gestion du dossier par l’ex-président de la Commune, Abdelmoughit Slimani.
Qui est le responsable de la débâcle? Tout le monde se rejette la responsabilité. Hicham Abkari estime que sa salle répond aux normes techniques. «Des bureaux d’études l’ont attesté», renchérit-il. Selon lui, si problème il y a, il provient du matériel loué. Décryptez: du prestataire de service auquel on a confié le marché.
Ce dernier se défend d’être tenu pour responsable: «ils veulent un bouc émissaire; le plus facile est de tout coller sur la société privée», confie un responsable sur les lieux. C’est le ministère marocain de la Culture qui a procédé au choix du prestataire de service. «Une commission a choisi la société, sur la base de la fiche technique fournie par le Bureau international de la jeunesse -BIJ, partenaire belge. Notre critère était la recherche du meilleur rapport qualité/prix. On s’est adressé à des professionnels qui ont fait leurs preuves», déclare Amal Saïd, responsable du ministère de la Culture. Pourtant, selon nos sources, des sociétés plus qualifiées ont été proposées, mais le ministère a préféré s’en tenir à son choix.

· Déception


Du côté du BIJ, la déception est manifeste. La directrice, Laurence Hermand, tente d’obtenir une décharge du ministère attestant qu’il n’y a aucun risque d’électrocution, mais personne apparemment n’est prêt à prendre ce risque. Elle positive quand même: «L’important, c’est la rencontre. Le spectacle n’est que la cerise sur le gâteau». Ce qui ne l’empêche pas de fondre en larmes sous le coup de l’émotion.
Durant le débriefing de la soirée, Mounia Nejjar, directrice du Livre au ministère de la Culture, apporte une lueur d’espoir: «Je vous fais la promesse solennelle que le spectacle aura lieu, d’abord en Belgique en juillet 2007, puis au Maroc, en septembre de la même année, au Théâtre Mohammed-V à Rabat». En attendant, c’est l’argent du contribuable qui n’a servi à rien. Le ministère de la Culture a pris en charge la totalité des frais (hébergement, matériel, nourriture, etc.) de 60 artistes, excepté les billets d’avion. Un responsable du ministère a même osé déclarer: «On a tout l’avenir devant nous pour faire le spectacle». Sans commentaire.


Ce que vous avez raté


Naïda, c’est une soixantaine d’artistes: des danseurs, chanteurs, musiciens, circassiens stylistes et vidéastes de différents pays. Ils viennent du Maroc, de Belgique, mais aussi d’Algérie et de Tunisie. Leur objectif: créer en douze jours un spectacle pluridisciplinaire sur le thème «entre tradition et modernité», encadrés par Jean-Michel Frère, metteur en scène belge. Un projet coorganisé par le ministère marocain de la Culture, par le Bureau international de la jeunesse (de Wallonie-Bruxelles) et l’association l’EAC l’Boulevard. Il est organisé en parallèle avec le Salon international de l’édition et du livre (Siel), dont la Belgique est l’hôte d’honneur cette année. Du 1er au 12 février, les jeunes artistes ont créé un spectacle inédit en 14 tableaux qui devait être présenté le 11 février au Théâtre Mohammed VI (voir article). De l’aveu des organisateurs et des journalistes qui ont assisté à la première grande présentation au centre aéré Moulay-Rachid, où se préparait le spectacle, le résultat allait être prometteur. Et pour cause : une équipe soudée, des idée fraîches et une bonne volonté manifeste. Mais le sort on en a voulu autrement.

Zakaria CHOUKRALLAH


16.2.07

Délais de paiement

La grille des mauvais élèves en Europe
(L'Economiste du 1/2/2007 )

·
Analyse de l’Observatoire des paiements en France

· Si le contrat est muet, le délai est de 30 jours

· Un remède? Systématiser les intérêts de retard!

Loin d’être une exception, ne pas régler son fournisseur à temps est devenu presque la règle. C’est ce que révèlent en substance les conclusions du Rapport 2006 de l’Observatoire des délais de paiement en France. Les PME marocaines connaissent bien ce phénomène qui n’est pas spécifique à l’environnement des affaires au Maroc.
Dans son rapport 2006, l’Observatoire propose des mesures draconiennes pour assainir la situation. Le crédit client (délai de paiement) reste toujours une clause découlant de la négociation commerciale. Si rien ne figure sur le contrat, la loi fixe automatiquement 30 jours. Pourquoi 30 jours? Pour protéger les petites entreprises qui, par leur fragilité, sont les premières exposées au risque de mortalité en cas de défaillance d’un gros client. Le législateur français a prévu le principe de pénalités de retard pour mettre fin à l’impunité de mauvais payeurs, du moins, ceux de mauvaise foi. Tout est mis en œuvre pour protéger les plus «faibles» et les plus fragiles. Ainsi, une circulaire de Bercy (ministère des Finances en France) interdit au fisc de vérifier une PME ou TPE (toute petite entreprise) auxquelles l’Etat doit de l’argent. Ça fait rêver non? Les experts de l’Observatoire de paiements rappellent que les pénalités de retard doivent être systématisées. Facile à dire qu’à faire car, dans les pratiques commerciales, facturer les intérêts de retard à son client n’est pas toujours aisé, reconnaissent les auteurs du rapport de l’Observatoire des paiements. En effet, les entreprises redoutent de perdre des clients en leur imposant des pénalités. Résultat: seuls 11% des entreprises facturent les retards dans l’Hexagone. Cela fait de la France, avec le Royaume-Uni, le plus mauvais élève en la matière en Europe.
La deuxième raison de l’assainissement du comportement de paiement interentreprises est d’ordre fiscal. En cas de contrôle, l’administration peut reclasser le retard de règlement de clients en crédit gratuit. Auquel cas, il faudra régler l’impôt sur des intérêts théoriques sur les montants concernés. Cette épée de Damoclès est un moyen de contraindre les entreprises à mettre la pression sur leurs fournisseurs.
Selon le rapport, tout se joue les premiers jours: après la signature et quand approche le payement. Pour éviter le piège en amont, la solution est la formation des commerciaux et l’introduction d’un système de primes. En aval, il faudrait que l’entreprise réagisse avant la date fatidique du payement, et non après, comme à l’accoutumée. L’idée est de demander une «Check-list», la liste de ce qu’attend l’entreprise cliente bien avant l’envoi de la facture. De cette manière, plus question pour le client d’arguer un oubli du fournisseur pour différer le payement.
Autre constat: «les entreprises ne sont pas bien armées pour résoudre les problèmes de délais». La solution préconisée est de mettre en place une aide technique, entre autres, orienter les entreprises vers des logiciels de gestion commerciale, former des cabinets à la gestion du risque et du crédit client, etc.
Pour motiver les clients, l’Observatoire propose aux entreprises de leur accorder des «remises» s’ils payent par anticipation. Une initiative qui peut s’avérer payante. En ce qui concerne les banques, le rapport suggère de créer des guichets «risque et crédit client» chargés de solutions concrètes (check-list, assurance, affacturage, etc.). Mais le point d’orgue pour le rapport est de «faire des collectivités publiques les meilleurs payeurs», afin qu’elles montrent l’exemple. C’est même repris à deux reprises dans le document. Pour atteindre cet objectif, une série de recommandations. Ainsi, pas de retard de mise en paiement sans explication, les justificatifs pour le paiement doivent être «simplifiés et dématérialisés». Il ne faudrait également pas suspendre le délai sans prévenir.

· Modifications de la loi

C’est au niveau de la réglementation qu’il faut intervenir, suggèrent les experts. Cela dit, le Rapport précise qu’avant d’introduire de nouvelles lois, il convient déjà d’améliorer celles qui existent. Au niveau du contrat, préciser le délai de paiement usuel pour chaque secteur et publier celui qui est abusif. Aussi, les grandes entreprises pourraient rendre public leur délai de paiement. L’idée est que chaque enseigne nomme un «Monsieur/Madame PME» organisant les relations avec les PME. Quant aux pratiques abusives, «il faudrait recenser, puis interdire celles qui retardent le point de départ des délais de paiement».
En Europe, il existe un rapport proportionnel entre la longueur des délais de paiement interentreprises et celles de l’Etat. En plus de sa puissance d’achat, l’Etat joue un rôle de modèle. Le document relève que la France est «légèrement» en deçà de la norme européenne. Le délai actuel est de 32,3 jours. Dans un autre volet, comme les sous-traitants n’ont pas le rapport de force nécessaire pour faire appliquer la loi, il faut encourager les déclarations de retard dans le Fichier national des incidents de paiement (FNIP).

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Les entreprises italiennes à la traîne



La légendaire ponctualité des Allemands est également valable pour les délais de paiement. Les entreprises allemandes sont des «bons payeurs», malgré une dégradation ces dernières années en raison du cycle économique. Au-delà de la légende, il y a des faits: les fournisseurs appliquent un discount de 2 à 3% en cas de paiement anticipé ou comptant. Tout le contraire de l’Italie où le délai moyen de paiement était de 98 jours en 2005. Un chiffre qui grossit chaque année Ce sont les paiements des particuliers et de l’Etat qui ont conduit à cette détérioration, tandis que les entreprises améliorent leur score. L’Italie est à l’avant-dernier poste, juste avant le Portugal. En Hongrie aussi, les délais sont très longs. Surtout pour le secteur public. La moyenne de paiement est de 98 jours. Les hôpitaux de province ont même des retards de 9 mois pour rembourser leurs fournisseurs en produits alimentaires.

Zakaria CHOUKRALLAH

25.1.07

Internet: Les sites marocains se distinguent

 

DEUX sites marocains ont été retenus par le Prix RFI Net Afrique 2006, la sixième édition d’un concours qui récompense chaque année le meilleur site Internet d’Afrique. Il s’agit du portail www.lamarocaine.com et du site connaistesdroits.tanmia.ma.
Tanmia est, selon ses concepteurs, «un espace participatif où les associations se connectent et échangent de l’information en ligne». Le pendant «connais tes droits» est en réalité un CD que le portail a mis en ligne avec l’aide de l’Union européenne, selon le président du portail Rachid Jankari. Le leitmotiv de ses créateurs: vulgariser les droits de la femme et de l’enfant. Pour y parvenir: une interface intuitive où il suffit de cliquer pour télécharger des dessins animés. Difficile de faire plus simple. Quant à lamarocaine.com, c’est la deuxième fois consécutive qu’il figure parmi les sites finalistes. Bien au-delà de l’info pratique, le site se donne pour ambition la valorisation de l’image de la femme et se propose de regrouper les associations féminines autour d’un seul support. Derrière son look vieillot, lamarocaine.com cache une base de données impressionnante. A titre d’exemple, le site abrite 456 portraits de femmes marocaines. A la base, il y avait 85 candidatures, mais seules 10 ont été retenues. Au final, un seul l’emportera. Neuf experts de RFI ont passé au crible les sites web qui se sont portés candidats. Tout y est passé: la pertinence du contenu, l’ergonomie, l’originalité, le design et l’esthétique, l’interactivité et la convenance avec le public cible.
Le lauréat sera connu fin janvier; il remportera 2.000 euros, mais surtout il bénéfieciera d’une campagne publicitaire gratuite sur les ondes, sur le site Internet de Radio France Internationale et dans la presse. De plus, l’heureux élu se verra offrir une formation d’un mois sur un campus numérique en Afrique.

Zakaria CHOUKRALLAH
Emploi & Carrière

Les managers qui bougent

OFPPT: Changements dans l’organigramme

 

■ Directeur de la Formation en cours d’emploi à l’OFPPT depuis la semaine dernière, Khalid Alaoui Hassani, 45 ans, assurait auparavant le poste de directeur de l’Enseignement professionnel au ministère chargé de la Formation professionnelle depuis 2002. Coordination pédagogique de la formation professionnelle, pilotage des mécanismes de promotion, de contrôle et d’évaluation de la formation continue: voilà un florilège des missions qu’il assurait.
Entre 2001 et 2002, il a été chef de la division de la coordination pédagogique et directeur de l’enseignement professionnel par intérim.
Avant d’officier à l’OFPPT, il a été ingénieur d’Etat à la direction du Contrôle des régies et des services concédés (1987-1988), ingénieur de production à la Samir (1986-1987).
Khalil Alaoui Hassani a fait ses armes au lycée Moulay-Slimane à Fès. Il est diplômé de l’Ecole Mohammadia d’ingénieurs, et ce, en électronique industrielle et en électrotechnique.

■ Jalal Charraf, 31 ans, assure désormais officiellement la direction centrale de l’Organisation et du Système d’information à l’OFPPT Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT). C’est également l’homme derrière «Synergence», la stratégie de l’Office pour le développement de la formation continue. Depuis mars 2005, Jalal Charaf s’est attelé à la restructuration du système des contrats spéciaux de formation. Avant son entrée à l’OFPPT, il a été, chargé de projets au groupe Banque mondiale (2003-2005), enseignant de mathématiques et sciences physiques puis directeur de développement à Al Akhawayn University (2000-2003). Il a également assuré la direction générale de Prefab du Gharb, Assistant Brand Manager de Procter & Gamble Morocco (1998), et il a travaillé aux Etats-Unis sur une chaîne de production de chocolat, The Wisconsin Cheesman.
Côté formation, le parcours de Jalal Charaf est tout aussi diversifié. Il est détenteur d’un «Master of engineering» en structures de la Cornell University, diplômé en ingénierie des arts et manufactures à l’Ecole centrale de Paris. Il a d’ailleurs été classé deuxième au concours d’entrée et a reçu la bourse de mérite.

■ Fouad Chraïbi retrouve ses premières amours
Après un parcours de 30 ans dans le management et la gestion des projets dans l’hôtellerie, Fouad Chraïbi, 58 ans, qui dirigeait un cabinet-conseil, retrouve son terrain de prédilection: depuis novembre 2006, il dirige la société de gestion du fonds d’investissement touristique du groupe Attijariwafa bank (Awb). L’ex-directeur général d’Accor Maroc retrouve ainsi un terrain qu’il affectionne particulièrement: le diagnostic, le montage et l’accompagnement des grands projets dans le tourisme. Dans la profession, ses pairs sont unanimes sur ses qualités de «développeur hôtelier».
C’est une consécration pour ce manager capable d’aligner des journées de travail marathoniennes de plus de 15 heures. Au lendemain de son départ du groupe Accor en juin 2002, Fouad Chraïbi se lance dans le consulting en créant le cabinet Tourisconseil, spécialisé dans le développement hôtelier et touristique. Deux ans plus tard, la Cnuced (Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement) le sollicite pour faire partie de son réseau de consultants.
Le plus gros de sa carrière, Fouad Chraïbi l’a passé chez Accor qu’il a rejoint au milieu des années 1980. Il y gravira un à un les échelons pour se voir confier la direction générale de la région Méditerranée, qui regroupait alors 9 pays avant la filiale marocaine du numéro un mondial de l’hôtellerie de janvier 2001 à juin 2002. Dans son cahier des charges, la direction des opérations de développement et de gestion de 21 hôtels, dont les enseignes Ibis et Sofitel. En parallèle, il assurait la présidence du directoire de Risma, le fonds d’investissement sur lequel Accor appuie son développement au Maroc en partenariat avec des institutionnels marocains.
Son «avant-Accor» a été tout aussi prolifique. Il a été directeur général du groupe Otic/Palmariva, a assuré plusieurs fonctions à l’ex-Banque commerciale du Maroc, administrateur général de Safir, directeur financier puis conseiller du PDG du CIH. Au début des années 1970, il a été chargé de missions auprès du Premier ministre Karim Lamrani, et il a assuré de nombreuses missions à la Cosumar. Il garde ses activités dans l’associatif, dont celle de président de l’Observatoire du tourisme. Fouad Chraïbi est diplômé d’HEC, promotion 1969.

Zakaria CHOUKRALLAH

11.1.07

Emploi & Carrière
Tirs croisés sur les low-cost sociaux
(Publié dans L'Economiste du 8/1/2007)

· Un rapport sur les enjeux sociaux de la concurrence internationale
· Restitution des aides perçues en cas de délocalisation


Passer d’une logique de « dumping social », c’est-à-dire «la recherche du plus bas niveau en matière de coûts salariaux ou de protection sociale», à un objectif de «mieux-disant social»; c’est presque un objectif de survie pour les entreprises européennes. Cela dit, la notion même de «dumping social» est sujette à débat. Les pays riches accusent les pays en voie de développement de jouer sur les conditions de travail, et notamment sur la couverture sociale, à des fins purement mercantiles, tandis que ces derniers considèrent les normes européennes comme une entrave à leur développement économique et une attitude protectionniste de la part de ces pays. Le Conseil économique et social français apporte une pierre à ce débat en publiant, en novembre 2006, un rapport intitulé «Enjeux sociaux et concurrence internationale: du dumping social au mieux-disant social».Dans ce document, une analyse du phénomène et, surtout, des propositions pour y faire face. Priorité du rapport: harmoniser les normes européennes en matière de droits sociaux. Les experts avancent l’idée d’un salaire minimum européen. Cependant, la divergence des cadres légaux en matière de salaires rend difficile son application. En outre, les modalités d’instauration de ce smig suscitent des intérrogations (instauration immédiate ou graduelle, par exemple). Certains proposent un salaire minimum proportionnel au pouvoir d’achat de chaque Etat membre.
· Délocalisations
Concernant la levée des obstacles à la libre-circulation des services, le problème se posait au niveau du principe du «pays d’origine». En clair, l’application des règles commerciales et sociales du pays où l’entreprise exerce ses prestations et non celles du pays où elle a été immatriculée. Le rapport fait appel à la jurisprudence, en rappellant l’affaire Vaxholm qui opposait une entreprise de construction lettone à la Suède, sur des questions de conditions de travail et de rémunération. Par décision de la Commission européenne, l’entreprise s’est vue obliger de se conformer aux règles sociales suédoises. Dorénavant, ce principe ne sera plus appliqué. Mais l’effet le plus redouté du dumping social, ce sont les délocalisations d’entreprises qui frappent de plein fouet la marché de l’emploi. Pis, ce ne sont plus les employés les moins qualifiés qui sont touchés, mais également les activités exigeant des qualifications élevées, type, développement des logiciels. Le rapport recommande une politique européenne. Pour cela, il propose un plan d’action. D’abord, prévenir les délocalisations. Comment? Essentiellement par une meilleure connaissance du marché du travail et des besoins de formation et d’élévation des qualifications des populations actives. Secundo: « accélérer la mise en place du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation », qui favorise le retour à l’emploi des travailleurs licenciés dans une logique de solidarité. Tertio: le remboursement des aides de l’UE par les entreprises qui ne respectent pas leurs engagements. Cela pourrait même aller jusqu’à rembourser les aides de l’UE en cas de délocalisation!Afin de sauvegarder le marché intérieur, il faudrait utiliser chaque fois que nécessaire les clauses de sauvegarde prévues par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dans les importataions. Ces clauses peuvent être mises en œuvre «lorsque les importations désorganisent ou risquent de désorganiser le marché des pays importateurs et/ou lorsque l’existence de pratiques de dumping commercial est établies». Elles permettent d’imposer un droit additionnel aux droits de douane.
· Simplifier la fiscalité
Le nerf de la guerre pour rester compétitif, selon le rapport, est la formation. Une des recommandations est l’accroissement de l’investissement dans l’enseignement. Ainsi, les dépenses totales par étudiant en France représentent le tiers de celles des Etats-Unis. Le rapport ajoute qu’il convient de développer des pôles d’excellence qui regroupent universités et organismes de recherche. Ce qui a été en partie réalisé avec les pôles de compétitivité lancés par le gouvernement En effet, les pays émergeants commencent à damer le pion aux européens sur le volet de la recherche et du développement. Dans la même optique, le rapport souligne qu’il faut aider les entreprises à «investir dans la recherche et l’innovation». L’attractivité du territoire pour les investisseurs est également une piste à explorer. Selon l’Agence française des investissements internationaux (Afii), les investissements étrangers ont doublé dans ce pays en 2005. Mais le rapport ne s’arrête pas sur ces acquis. Il préconise une communication accrue sur des atouts tels la qualification des salariés, une protection sociale de haut niveau, des infrastructures adaptées et des services publics développés. Il insiste aussi sur la simplification de la fiscalité des entreprises. Il faut signaler que le président Jacques Chirac vient de proposer un IS à 20%. Pour cela, il faut «conforter et amplifier les dispositions fiscales incitatives en faveur des investissements matériels et immatériels» et «donner aux entreprises davantage de lisibilité et de stabilité » en simplifiant davantage la fiscalité. Sur un autre volet, le rapport insiste beaucoup sur la réforme des cotisations sociales, et avancent différentes propositions, dont la «TVA sociale» (cf. encadré). Mais le document reconnaît que le débat est loin d’être tranché. Aucun consensus n’est à l’ordre du jour pour ce volet.
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Le modèle social européen
Le modèle européen repose sur trois principes : le soutien au marché, un haut niveau de protection sociale et le développement du dialogue social. Concrètement, il suit les directives de la confédération européenne des syndicats (CES) qui préconose une protection sociale développée couvrant la santé, la sécurité, des limites au temps de travail, les congès, le droit de grève, etc. Toutefois, le caractère contraignant de ce modèle pose aux 27 le problème de sa mise en œuvre.
TVA sociale, quèsaco?
Il s’agit d’une TVA réévaluée de façon à faire supporter aux produits importés une taxation. Jean Arthuis, sénateur français à l’origine de cette proposition, distingue entre les cotisations liées au travail (retraite, accidents de travail, etc) et celles qui relèvent de la «politique familiale et la politique de la santé». La réforme consiste à déconnecter la seconde catégorie de l’assiette des salaires. Au rayon avantages : la baisse du coût de travail grâce à la diminution du poids des cotisations sociales, ce qui améliore la compétitivité des produits et services français. Evidemment, cela conduit à l’augmentation de la demande sur les produits français et, à terme, favorise l’emploi. Cependant, c’est loin d’être la panacée. En effet, la limitation de la TVA à 25% dans l’UE amondri la portée en termes de recettes. De surcroît, les autres pays européens pourraient adopter cette mesure et du coup annuler son avantage compétitif pour la France. Mais le principal reproche tient au fait que la TVA sociale pèserait sur les ménages de manière injuste. Un débat à suivre.
Zakaria Choukrallah

Plantes aromatiques: Filière cherche mise à niveau
(Article publié dans L'Economiste le 2/1/2007)

· Les opérateurs appellent à la création d’un « label Maroc »
· D’autres priorités: élaborer une base de données sur les plantes
· Et améliorer la qualité du produit et de l’emballage
«Ce projet aurait dû s’appeler «Ac3»: Coordination, collaboration et communication», s’amuse à dire Patrick Papania, chargé du projet AP3 -partenariats agricoles pour la productivité et la prospérité - au sein de l’Agence américaine pour le développement (USAID), lors de la première journée nationale de réflexion sur les plantes aromatiques et médicinales (PAM), le mardi 19 décembre à Rabat. Cette réflexion n’est pas anodine, tant les opérateurs du secteur se plaignent du manque de coordination et de communication dans la filière. Pallier le déficit de communication est la mission première de ce projet : « L’Usaid n’est pas là uniquement pour assister financièrement. Sa vocation première est de réunir tous les collaborateurs autour d’une seule table», estime PAPANIA. Ainsi, industriels, producteurs, herboristes, chercheurs et responsables des ministères de la Santé, de l’Enseignement et du Haut commissariat au Plan ont répondu à l’appel de l’Usaid pour élaborer ensemble une stratégie de valorisation des PAM. « Il devient urgent de faire face à la concurrence des autres pays exportateurs, comme la Tunisie », s’accordent à dire les professionnels qui ont pris part aux trois ateliers (« Information/Investissement/Commercialisation », «Préservation des ressources » et « Certification et organisation de la filière»).
· Investissement et commercialisation
La commercialisation et l’investissement ont sucité beaucoup de débat. Au Maroc, tout reste à faire, à commencer par une base de donnés complète comprenant la cartographie et l’inventaire des espèces existentes. Mais attention, ces informations stratégiques ne seront pas gratuites, seuls les investisseurs marocains membres de cette future structure pourront en profiter, moyennant une contribution. « C’est ce qui se fait aux Etats Unis et en Europe », explique Karim Belkheir, de la plantation Four Season. La société « Les Arômes du Maroc » a même eu recours à un cabinet étranger pour réaliser une étude. Pourtant, Boubker Latrach, directeur général de cette société, tempère : « Il est vrai qu’un état des lieux, notamment au niveau des quantités s’impose. Mais il faudrait déjà rassembler dans une même base de données les informations existantes ». Là encore, le manque de coordination dans la filière est pointé du doigt. Autre recommandation de l’atelier : «étudier les conditions de domestication des plantes aromatiques et médicinales, et particulièrement celles menacées où à forte valeur ajoutée ». Si les détracteurs de la domestication avancent l’argument du stress hydrique, les opportunités d’affaire sont là. « Les Arômes du Maroc» ont été les premiers à introduire cette technique. Aujourd’hui, ils ont réussi à implanter deux nouvelles espèces: la «Rose Centifola» et «l’Iris Palida». Des variétés qui poussent normalement en Europe. Le reste des recommandations de cet atelier sont « l’encouragement des études de faisabilité» et «l’orientation des investisseurs sur les produits à forte valeur ajoutée», mais aussi «l’étude des conditions de «préservation, de conservation et de valorisation des PAM». Au niveau de la commercialisation, le point d’orgue a été l’appel à la création de normes nationales alignées avec les normes étrangères. Et ce, pour arriver à élaborer un « label qualité Maroc». Pour cela, il faut améliorer la qualité des produits et leur conditionnement. En effet, la plupart des industriels sont contraints d’importer les emballages, faute d’infrastructures. L’atelier a également appellé à instituer une mercuriale des prix, afin de tenir informés l’ensemble des intervenants. Par ailleurs, parmi les recommandations, figure la juste rémunération de la matière première. Il faut signaler que les populations qui font la cueillette sont la majorité du temps sous-payés (ndlr : 30 centimes le kilo, cf. www.leconomiste.com).
· Comité ad-hoc
L’aspect financement et incitation économique a été évoqué, l’atelier recommande la mise en place d’une ligne de financement pour encourager l’investissement. « A l’heure actuelle, on ne connaît pas les détails, confie une source au Haut Commissariat aux Eaux et Forêts, mais il est probable que ce soit sous forme de crédits bancaires ». Précisons que ces recommandations sont encore à l’état de projet, et qu’un comité ad-hoc sera chargé de les concrétiser. Pour ce faire, l’atelier a recommandé que le Haut Commissariat aux Eaux et Forêt et à la Lutte contre la Désertification (HCEFLCD) prenne cette initiative. Les associations professionnelles, à commencer par la Société Marocaine des Plantes Aromatiques et Médicinales (SOMAPAM), les représentants des pouvoirs publics et les organisations internationales (FAO, OMS, etc.) feront partie de ce comité. La première journée nationale de valorisation des PAM a eu ce mérite : réunir tous les intervenants du secteur autour d’une même table. « Au moins maintenant, nous avons des théoriciens », confie un industriel présent lors de cette journée. Reste à savoir combien de temps sépare la théorie de la pratique.
Zakaria CHOUKRALLAH

Pêche/surexploitation: Les mises en garde d’un expert français
(Article publié dans L'Economiste du 28/12/2006)

· Repos biologique: c’est bien pour se rassurer, mais ce n’est pas toujours efficace
· L’importance des approches «écosystémiques»
· Maroc/UE: L’effort de pêche est trop élevé
La surexploitation des océans pousse les experts à s’inquiéter sur l’avenir de la pêche. Les estimations les plus pessimistes parlent de l’épuisement des ressources halieutiques à l’horizon 2047. Invité au Maroc pour intervenir sur le thème de «la recherche face au défi de l’avenir des écosystèmes marins, de la pêche et de l’aquaculture», Patrice Cayré, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), délivre son avis d’expert sur ces estimations et analyse le cas du Maroc.
· L’Economiste: Quelle est la situation mondiale des pêches?
- Patrice Cayré: La situation mondiale des pêches est très mauvaise. Près de 75% des espèces sont pleinement exploitées, voire surexploitées. Cela veut dire que ces espèces vont soit disparaître, soit ne plus être disponibles en quantités significatives.
· Les projections des spécialistes sont alarmantes. Qu’est-ce qui permet de dresser ce scénario catastrophe?
- Vous faites référence à un article publié par la revue «Science» prévoyant la disparition de toutes les espèces de poisson en 2047. C’est une prévision volontairement alarmiste dont on a beaucoup parlé et qui est basée sur l’hypothèse que rien ne changera d’ici là. Les Etats en charge de la gestion des pêches, ainsi que les scientifiques, travaillent sur des mesures.
· Et quelles sont ces mesures, concrètement?
- La voie la plus prometteuse est l’approche «écosystémique» qui prend en compte l’impact de la pêche sur l’ensemble d’un écosystème. Cette méthode a été préconisée lors de la conférence internationale de Reykjavik (Islande) en 2001. Elle consiste à déterminer les indicateurs de santé d’un écosystème et de réglementer la pêche selon la situation. A cet effet, l’aménagement d’aires protégées peut être une solution efficace. A condition que ce ne soit pas uniquement pour donner une image de souci écologique. Car ces dernières années, on voit éclore des aires marines protégées un peu partout dans le monde par simple mimétisme. · Quelles sont les espèces les plus menacées?
- Ce sont les grands carnivores, au sommet de la chaîne alimentaire, qui sont les plus menacés. Au Maroc, le bar et le mérou, au Canada, la morue, et en Méditerranée, le thon rouge. La liste est encore longue. D’une manière générale, les poissons les plus prisés par les consommateurs sont davantage menacés.
· Comment concilier entre la préservation des poissons et le développement de ce secteur?
- Il faut bien comprendre que le développement économique n’est pas incompatible avec des mesures de protection et de limitation des pêches. L’Etat a un rôle régulateur extrêmement important à jouer à une échelle bien supérieure aux intérêts égoïstes d’un individu ou d’une entreprise.
· Quelle est la situation pour ce qui est du littoral marocain?
- Depuis 2001 où les pêches au Maroc ont atteint un pic d’un million de tonnes, la tendance est à la baisse. De plus, malgré la suspension des accords de pêche, les captures de poisson n’ont pas augmenté.
· Justement, dans quelle mesure l’accord de pêche Maroc/UE menace-t-il les ressources halieutiques?
- Le problème vient de l’effort de pêche trop important qui concerne non seulement la flotte étrangère, mais également les pêcheurs industriels marocains. Les navires étrangers et marocains capturent les mêmes espèces et ont accès au même marché. De plus, pour un pays comme le Maroc, les considérations économiques sont déterminantes. Les accords de pêche permettent la création de 16.000 emplois et représentent une rentrée d’argent pour l’Etat marocain. Bref, je ne nie pas que quelque chose ne va pas, mais chacun rejette la responsabilité sur l’autre.
· Les périodes de repos biologiques sont-elles suffisantes?
- Disons que c’est une notion rassurante que tout le monde peut comprendre, mais qui, dans la réalité, n’a pas une efficacité toujours significative. · Si on prend l’exemple du poulpe?- Il faut savoir que le poulpe est une espèce qui vit très peu de temps, un an à peu près. De plus, après chaque reproduction, la femelle meurt. Dépassé un certain seuil de capture, on peut craindre la raréfaction de quantités significatives de cette espèce.
· Qu’en est-il de la surexploitation de l’algue rouge marine?-
Cela ne représente pas de danger pour l’écosystème. Mais il ne faudrait pas qu’elle disparaisse. La nature ayant horreur du vide, une autre algue viendra la remplacer. Il faudrait arriver à préserver certaines surfaces de l’exploitation. Par exemple, garder une bande inexploitée tous les 150 mètres comme cela se fait dans d’autres pays.
('encadré)
Un expert très sollicité
Patrice Cayré est océanographe biologiste spécialisé en halieutique. Il est directeur du département de recherche sur les «ressources vivantes» de l’IRD (Institut de recherche pour le développement). Le professeur Cayré est l’auteur de nombreux ouvrages et publications scientifiques sur la dynamique et l’ethnologie des thons tropicaux. Il est par ailleurs un des experts chargé par la Banque mondiale, la FAO et l’Unesco de procéder à une évaluation prospective mondiale de la recherche agricole pour le développement.Patrice Cayré est décoré par l’Etat français de l’Ordre national du Mérite au grade de Chevalier.
Propos recueillis par Zakaria CHOUKRALLAH

14.11.06

700 litres de harira : il faut le faire !


· Toute une organisation pour servir 1.000 bénéficiaires du f’tour

· Des entreprises et des bénévoles jouent le jeu

Ils sont éclopés, mendiants, chômeurs, travailleurs ou simplement esseulés. Sur le coup de 18h, plus de mille jeûneurs se retrouvent tous les soirs de Ramadan, près de l’Ensemble artisanal, sur le boulevard de Bordeaux, à Casablanca. C’est que l’association Al Wifak leur offre gratuitement le f’tour, et ce, depuis neuf ans maintenant.
Al Wifak a été crée par des ex-membres de l’association Attoufoula Ashaâbia. Son premier objectif est l’aide à l’enfance et l’encadrement des jeunes. À six reprises, durant l’Aïd el Kébir, l’association a distribué des habits aux enfants démunis. Au total, ce sont 7200 enfants qui en ont profité. Al Wifak distribue aussi chaque année un peu plus de 200 cartables aux enfants. Des opérations de circoncision ont également été organisées à quatre reprises.
«L’opération f’tour a été lancée en 1995», explique Mustapha El Boudani, vice-président. Au départ, l’organisme accueillait une centaine de personnes pour la rupture du jeûne. «Chaque année, nous avons augmenté notre capacité d’accueil», ajoute-t-il.
Aujourd’hui, huit employés de cuisine et une quarantaine de bénévoles travaillent à l’organisation. Au total, un budget de 33 millions de dirhams y est consacré, soit plus de la moitié du budget annuel de l’association (50 millions de DH – n.d.l.r). «Ce sont des sociétés qui offrent les ingrédients comme le concentré de tomates, les œufs, les cubes de bouillon, etc. Et grâce aux cotisations des membres de l’association, nous achetons ce qui manque, par exemple le lait», poursuit Mustapha.
Pour permettre à plus de mille personnes de rompre le jeûne en même temps, il faut un véritable travail de moine. «Les employés en cuisine commencent leur journée vers 7h, puis sont ensuite relayés par une équipe d’après-midi», explique le vice-président.
Puisque chacun des invités aura droit à un deuxième bol de soupe, il faut préparer quotidiennement 700 litres de harira. «Et elle est délicieuse, je mange ici mieux que chez moi!», s’exclame Mustapha. On serait porté à le croire sur parole, car 80% de la « clientèle » revient chaque soir. «Certains possèdent même leur place!», lance-t-il en riant. Tout au long du repas, une dizaine de serveurs bénévoles s’assurent que les convives ne manquent de rien. Leur proximité permet aussi de prévenir les accrochages. « L’ambiance est généralement bonne. N’empêche qu’il y a parfois des gens qui prennent trop de beurre ou trop de soupe », admet Mustapha. Pour ce qui est de la sécurité des lieux, un camion de sapeurs-pompiers se gare chaque soir devant l’entrée du site. Il y demeure jusqu’à ce que les gens quittent, vers 19h. Le travail d’Al Wifak débute cependant bien avant la première journée de jeûne. « Aussitôt que les autorités nous le permettent, soit généralement un mois avant le début de Ramadan, nous commençons à préparer le site », indique Mustapha. Car, il faut bien le dire, l’endroit sert normalement de repère aux sans-abri.Il faut nettoyer les caniveaux, décortiquer les palmiers, installer les bâches et l’électricité. Bref, la tâche est colossale. Mais, pour Mustapha, il serait impensable de passer le mois de Ramadan sans cette opération. «Je prends mes vacances pendant le mois sacré depuis neuf ans afin d’organiser le f’tour. C’est une véritable drogue!».

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Côté hommes



«Dans un café, on débourse 20 dirhams en moyenne pour le f’tour. Ici, en plus d’être gratuit, c’est d’excellente qualité», explique un artisan. «Pour moi, c’est carrément du cinq-étoiles. Parfois, ma famille m’invite. Mais je préfère venir ici, car la nourriture est meilleure», assure un autre homme. Car, il faut bien l’avouer, seule la moitié des bénéficiaires est réellement démunie. L’autre moitié est constituée essentiellement de petits travailleurs qui pourraient très bien subvenir à leurs besoins : maçons, chauffeurs, etc. Ils travaillent généralement dans les parages et profitent du repas gratuit. Une réalité qui ne dérange pas le moins du monde les organisateurs. Leur leitmotiv ? le Coran qui incite les fidèles à offrir le repas aux jeûneurs, qu’ils en aient les moyens ou pas.



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Côté femmes



«Dieu vous bénisse!», s’exclame une des bénéficiaires, avant d’exprimer sa joie par des youyous. Car, à l’inverse des hommes, les femmes présentes vivent toutes une situation de précarité. La plupart mendient et n’ont pas de chez-soi. Pour les rares chanceuses qui ont trouvé refuge chez leurs proches, c’est souvent préférable de rompre le jeûne loin du tumulte de la famille d’accueil. Il faut toutefois se méfier, car, aux dires des organisateurs et même de certaines femmes, il y a parmi elles des « profiteuses ». Des opportunistes qui viennent dans l’espoir de se voir offrir des dons. En effet, chaque fin de Ramadan, l’association remet le surplus de nourriture aux femmes. Sacs de farine, sucre, thé, etc. La date de la remise des dons est maintenue secrète pour ne pas provoquer le jour venu. «Nous nous retrouvons parfois avec 300 femmes au lieu de la centaine habituelle. Malgré toutes nos précautions, elles alertent leurs amis par téléphone portable», s’indigne Mustapha.

Zakaria CHOUKRALLAH
et Marie-Hélène GIGUÈRE